Erdoğan rêve d’une troisième guerre mondiale

L’attentat d’Ankara est sans doute “un coup de trop” dans la stratégie d’Erdoğan pour conquérir le pouvoir absolu en Turquie. L’ampleur du carnage a réveillé l’opinion internationale, qui se retourne contre le “sultan” avide de domination et prêt à tout pour gagner les élections du 1° novembre prochain. Une des cartes qu’il garde dans sa manche est de truquer le résultat, car il est fort à parier que ces élections lui seront défavorables. La colère n’habite pas seulement les Kurdes et le HDP mais aussi des partis d’opposition comme le CHP (qui pleure une vingtaine des siens dans l’attentat d’Ankara). Des voix s’élèvent même dans son propre camp. La bataille des urnes, incertaine, risque donc d’être rude. L’autre carte est d’empêcher la tenue des élections. La Constitution (article 78) prévoit que, “s’il apparaît impossible de procéder à de nouvelles élections pour cause de guerre, la Grande Assemblée nationale de Turquie peut décider le report des élections pour un an”.

Les Kurdes ne doivent pas passer l’Euphrate, dit la Turquie

La Turquie ne tolérera pas que les Unités de protection du peuple (YPG), milice kurde de Syrie, franchissent l’Euphrate pour prendre position près de sa frontière et en a averti les Etats-Unis comme la Russie, ont annoncé deux membres de l’administration ayant requis l’anonymat : Zaman, quotidien turc-islamo conservateur, la “voix” officieuse du mouvement religieux de Fethullah Gülen prend cet avertissement très au sérieux : c’est clair et net pour nous et nous ne plaisantons pas avec cela, aurait déclaré l’un des deux informateurs. La dépêche de l’AFP est encore plus explicite : la Turquie a convoqué mardi les ambassadeurs des Etats-Unis et de la Russie pour les mettre en garde contre toute aide aux combattants kurdes syriens dans le cadre de leurs opérations contre le groupe djihadiste Etat islamique (EI), a-t-on appris de source officielle turque.

Et le Premier ministre Davutoglu de déclarer :

comme les Etats-Unis et ses alliés ne tolèrent pas les livraisons d’armes à Al-Qaïda et ses filiales, la Turquie ne tolère pas celles à destination du PKK et de ses filiales.

Erdoğan veut donc absolument empêcher la jonction entre les cantons d’Afrin et de Kobanê, qui lui fermerait la frontière turco-syrienne qui s’étend sur 900 km et qui le couperait de liaisons directes avec l’Etat islamique (EI). Or les forces combattantes kurdes du PYD, renforcées par des combattants du PKK et des milices arabes syriennes – avec lesquelles les Kurdes viennent de passer une alliance – sont en position de réussir cette jonction, aidées en cela par l’aviation de la coalition et l’aviation russe. C’est pour lui un casus belli.

Briser dans l’œuf les visées du dictateur

Erdoğan, pour sauver son pouvoir personnel, caresse peut-être le rêve d’entrainer l’Otan – dont la Turquie est membre – dans un conflit inextricable, où se trouvent déjà mêlées des forces antagonistes, dont les intérêts sont divergents mais qui doivent unir leurs efforts pour chasser l’ennemi commun : les djihadistes de l’EI. Il serait paradoxal que les grandes puissances régionales et internationales se laissent entrainer dans un pareil désordre, mais le risque existe, l’homme est prêt à tout et spécialiste des coups fourrés, capable d’une intervention armée, au nom d’une légitime défense, contre une agression qu’il aurait lui-même provoquée. La meilleure réponse dans l’immédiat serait un accord – même a minima – entre les forces de la coalition et la Russie, pour aider les troupes au sol à libérer le Rojava de l’EI.

André Métayer