La tragédie d’Uludere impose un sursaut politique

Ce titre, emprunté à Emre Demir, rédacteur en chef de Zaman-France, est étonnant quand on sait que Zaman (“Le Temps”), journal militant pour un islam politique, est le fleuron du groupe de presse de Fethullah Gülen, cette confrérie qui fait partie du système AKP pour noyauter tous les rouages de l’appareil d’Etat :

Trente cinq villageois kurdes ont été tués le 28 décembre dans le village d’Uludere, à la frontière turco-irakienne, à la suite de raids aériens de l’armée turque. Le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan a promis une enquête approfondie sur ce raid en insistant bien sur le fait qu’il s’agissait d’une bavure de l’Etat. La Turquie paiera par ailleurs des réparations aux familles de villageois tués. Véritable désastre humanitaire, l’affaire d’Uludere est sans doute le plus grand fiasco de ce troisième mandat de l’AKP (Zaman-France, 05/01/2012).

Le ton peut surprendre et diffère sensiblement des premières déclarations qui affirmaient que des drones avaient, dans ce secteur près de la frontière, repéré des activistes présumés du PKK et que des chasseurs F 16 avaient “en conséquence” bombardé la zone.

L’armée turque a annoncé que les bombardements avaient visé des rebelles du Parti de travailleurs du Kurdistan (PKK, interdit) déclarant qu’ils tentaient de s’infiltrer en Turquie pour mener des attaques (AFP 29/12/2011).

Le journal Taraf parle toujours d’une erreur d’appréciation commise par les services secrets turcs (MIT), suite à une information qui aurait été fournie par un agent infiltré au sein du PKK. Pour autant la thèse officielle de l’erreur ou de la négligence, cause du “drame d’Uludere” n’est pas celle de l’Association des Droits de l’Homme (IHD) qui demande au Comité des Droits de l’Homme des Nations Unies l’envoi d’une commission d’enquête.

Pour le BDP, le bombardement de civils a été planifié depuis Ankara

Le BDP, parti pour la Paix et la Démocratie, ne croit pas non plus à la bavure et accuse le pouvoir d’avoir sciemment organisé cet attentat :

Le gouvernement AKP a voulu intimider les Kurdes vivant en Turquie le long de la frontière et lancer un avertissement au gouvernement kurde en Irak

affirme Hasip Kaplan, député de Sirnak, Vice président du groupe BDP à la Grande Assemblée de Turquie.

Pour le député, l’un des premiers à recueillir les témoignages des habitants, il est évident que le massacre a été planifié et organisé au plus haut niveau :

les villageois qui utilisent cette voie chaque jour ont été interpellés, rassemblés en deux groupes et gardés à vue par des militaires en armes durant trois heures avant que ne surgissent quatre F-16 qui pilonnèrent la zone. 35 civils périrent, trois réussirent à survivre. Certains ont été achevés dans des grottes où ils avaient trouvé refuge. L’attaque préméditée visait à ne laisser aucun survivant. Hasip Kaplan s’attarde sur le fait que les villageois ont été retenus durant trois heures par les militaires, le temps nécessaire à Ankara pour examiner les images des drones et pour donner l’ordre d’attaquer.

Contre-attaque de l’AKP : posture ou revirement ?

L’émotion est réelle et les réactions sont telles que l’AKP ne pouvait rester sans réaction. Emre Demir est-il une voix autorisée quand il affirme que la solution n’est pas militaire mais politique ?

[Les Turcs aussi bien que les Kurdes] sont tous d’accord sur le fait que l’identité kurde doit être reconnue et soutiennent l’idée de mener des négociations avec le PKK en vue de mettre un terme à la violence. La majorité des Kurdes de Turquie semble être du même avis concernant trois revendications : que la Constitution définisse la citoyenneté sans aucune référence à l’appartenance ethnique, que les familles kurdes puissent avoir le choix d’éduquer et d’instruire leurs enfants en langue kurde en plus de l’instruction en turc et enfin que soit accordée une autonomie politique plus large aux régions majoritairement peuplées de Kurdes.

On aimerait croire que l’ouverture des négociations est proche. Le signe fort que pourrait envoyer le gouvernement AKP serait la libération de tous les détenus politiques : ils sont 8 190 dans les prisons turques, d’après les données officielles publiées fin 2011 par le ministère de la Justice. Ils étaient 3 788 en 2004, après l’arrivée au pouvoir de RT Erdogan en 2003.

André Métayer