La Turquie sur le sentier de la guerre: la démocratie en danger

Il s’est passé, dimanche 21 octobre, quelque chose de très grave dans la région de Hakkari, près de Daglica, dans la zone montagneuse qui sert de frontière entre la Turquie et l’Irak.

Au travers des communiqués contradictoires de l’armée turque, relayés par les médias turcs et les agences de presse internationales, et ceux du service de presse des HPG, forces armées du PKK, ignorés des médias et des agences, il est difficile de savoir qui a commencé et qui a résisté, mais peu importe, les faits sont là et, quatre jours après le feu vert donné par le parlement turc à l’armée pour entrer en Irak, des affrontements violents ont eu lieu au point de créer une agitation importante en Turquie et dans toutes les chancelleries des pays de la Région et des grandes puissances internationales. Beaucoup d’intérêts stratégiques, politiques et financiers se télescopent et les Etats Unis, par exemple, a successivement recommandé de la retenue à la Turquie et fait état de l’éventualité d’une opération militaire conjointe. Il en est de même de la position des institutions européennes qui, après avoir désavoué, mollement, il est vrai, la Turquie, “condamne fermement le terrorisme du PKK,”. La guerre psychologique fait rage où chacun souffle le chaud et le froid. Les dépêches se succèdent, depuis 3 jours, à une cadence effrénée dont il est difficile de tirer des conclusions.

Les pertes en vie humaines subies par l’armée turque auxquelles s’ajoutent un fait sans précédent – deux officiers et 6 soldats ont été faits prisonniers – ont effrayé la Communauté internationale et porté un coup au moral en Turquie au point de conduire son gouvernement à interdire la diffusion de programmes à “l’impact négatif sur l’ordre public et le moral (…) en donnant l’impression d’une faiblesse des forces de sécurité”.

L’opinion, excitée par les médias et les forces ultranationalistes, se déchaîne et les Kurdes craignent pour leur vie : on parle de lynchage dans certaines villes de Turquie et …à Bruxelles où les “loups gris” ont pris à partie un journaliste de la gauche turque. On peut donc avoir aussi des craintes fondées concernant la situation de toutes les démocrates turcs, minoritaires, malheureusement, qui refusent l’affrontement militaire et militent en faveur de la négociation politique. La répression guette tous les militants du parti légal pro kurde, le DPT, à commencer par les responsables locaux et régionaux, les maires et surtout les députés, déjà menacés ou poursuivis.

De très fortes pressions sont exercées sur les Kurdes d’Irak pour qu’ils se désolidarisent des forces kurdes du PKK mais l’unité et la solidarité entre Kurdes prévaut pour l’instant, et les Kurdes de la diaspora se remobilisent aussi.

Le PKK, dont on sait maintenant qu’il est capable de porter la guerre en Turquie, offre une nouvelle fois un cessez le feu aussitôt rejeté par la Turquie qui ne veut pas traiter avec les “terroristes” et qui prend ainsi le risque et la responsabilité de l’escalade de violence. “La Turquie n’hésitera pas à payer le prix, quel qu’il soit,” a déclaré à l’avance le président Gül. Il est à prévoir qu’elle ne se battra pas pour récupérer ses soldats aux mains des forces HPG qui sont traités comme des prisonniers de guerre, selon les conventions de Genève que le PKK a signées, ce qui n’empêche pas la Turquie, les Etats-Unis et l’Union Européenne, de considérer le PKK comme une organisation terroriste.

Le moins qu’on puisse dire est que la Communauté internationale n’aide pas la Turquie à trouver la voie de la raison et la voix du ministre français des Affaires étrangères semble bien esseulée. Bernard Kouchner a, en effet, d’après une dépêche de l’Associated Press du 21/10, fait le rapprochement entre cette attaque et l’adoption, quatre jours plutôt, par le parlement turc d’une motion autorisant l’armée à pénétrer en territoire du nord de l’Irak et a appelé “une fois de plus à la retenue”, ajoutant que “la situation était extrêmement dangereuse”, et que “l’aggravation de la tension était lourde de menaces dans une région déjà très instable” : ” n’y a pas de solution militaire à ce problème” a conclut Bernard Kouchner en précisant qu’il connaît le dossier “depuis très longtemps”. C’est aussi l’opinion de Kendal Nezan, Président de l’Institut kurde de Paris, qui déclare dans “l’Orient, Le Jour” (22/10) : “il n’y a pas de solution militaire à la question kurde en Turquie parce qu’il s’agit d’un problème éminemment politique. “…”Les Kurdes demandent la reconnaissance de leur identité, des écoles et des médias dans leur langue”. Ce sont donc des questions qui doivent être traitées d’une manière politique”….” Depuis 1984, la Turquie a mené une vingtaine d’incursions dans le Kurdistan irakien sans jamais aboutir à des résultats. Les dirigeants turcs sont conscients de cette situation, mais ils sont dans une impasse idéologique qui ne leur permet pas de remettre en cause un nationalisme qui ne reconnaît pas l’existence des Kurdes”;

Qu’est-ce qui pourrait faire reculer la Turquie ? se demande le journal “Le Monde”.

La réponse est dans la cohésion d’une Communauté internationale qui parlerait fermement d’une seule voix : la Turquie ne connaît que le rapport de force.

Oui, la Turquie, sur le sentier de la guerre, est une menace pour la démocratie.

André Métayer

Rennes le 23 Octobre 2007