La Turquie va dans le mur

Les opérations militaires qui s’intensifient et les violences policières qui ont accompagné les fêtes du Newroz font s’éloigner les perspectives de paix au Kurdistan. Les manœuvres de “l’Etat profond” compromettent l’entrée de la Turquie dans l’Union Européenne.

Après l’offensive de l’armée turque en Irak, dont l’échec apparaît de plus en plus patent, un cran a été franchi, en termes de violences, à l’occasion des fêtes du Newroz faisant des morts, des blessés et de nombreuses arrestations. Reporters sans frontières (RSF) (en date du 02/04/08) a, pour sa part, signalé les violences policières dont ont été victimes six journalistes qui couvraient, à Hakkari, les fêtes autorisées du Newroz.

RSF a dénoncé également les menaces qui planent sur le web : depuis le 21 mars 2008, le site Internet est inaccessible en Turquie et, pour la troisième fois en un an, YouTube est resté, sur décision du tribunal de police d’Ankara, inaccessible du 13 au 27 mars. Faut-il voir, là, un lien avec une vidéo particulièrement atroce montrant un policier en civil brisant le bras, en pleine rue de Hakkari, d’un gamin de 15 ans, Cuneyit Ertus ? L’Association turque des Droits de l’Homme (IHD) a porté plainte. D’autres enfants auraient également été arrêtés et auraient été victimes de mauvais traitements. Cette vidéo, difficilement supportable, n’est plus visible sur YouTube mais on la retrouve… sur le site du journal Gundem1. Les censeurs devraient savoir qu’il est maintenant difficile de juguler l’information.

Les communiqués militaires se multiplient : la TSK (l’armée turque) prétend avoir “abattus”2 16 rebelles depuis fin mars, dans la province de Sirnak, information démentie par les HPG. (forces combattantes kurdes). Trois (ou quatre ?) militaires turcs, dont un officier, ont été tués au combat. La TSK a lancé ses opérations printanières contre la guérilla kurde3 qui “menace de riposter si la violence de l’Etat turc se poursuit”.

Les paysans de la région de Kandil (Kurdistan irakien) sont victimes de dommages “collatéraux” causés par les bombardements de l’aviation turque : les pâturages sont truffés d’engins explosifs, autant de dangers mortels potentiels, et une “épidémie” qui décime les troupeaux de chèvres fait peser sur l’armée turque un grave soupçon d’emploi d’armes chimiques4.

Mais tout ce tohu bohu est occulté par l’arrêt de la Cour constitutionnelle qui a jugé recevable une requête déposée par le procureur de la Cour de cassation visant à interdire de la scène politique, pour des activités “anti-laïques”, 71 personnalités dont le chef de l’Etat, Abdullah Gül, et le parti majoritaire turc qui a gagné les élections législatives, l’AKP, un parti issu de la mouvance islamiste mais qui se définit aujourd’hui comme “démocrate conservateur”.

La décision de la Cour constitutionnelle “porte un grand coup aux relations entre l’UE et la Turquie”, a estimé Amanda Akçakoca, analyste à l’European Policy Centre à Bruxelles, qui note également que les négociations d’adhésion turque à l’U.E. sont déjà quasiment au point mort :

Seuls, six des 35 chapitres thématiques qui jalonnent les négociations ont en effet été ouverts en plus de deux ans, huit autres sont gelés depuis décembre 2006 en raison de la question chypriote.

Ce n’est pas encore au niveau d’un coup d’Etat militaire, mais on n’en est pas loin

a jugé de son côté lundi Kirsty Hughes, spécialiste de la Turquie chargée de recherche au Centre for European Policy Studies et coordonnatrice du European Policy Institutes Network (EPIN).

Les manœuvres de “l’Etat profond” compromettent assurément l’entrée de la Turquie dans l’Union Européenne.

André Métayer