Le pire peut encore être évité au Rojava (Kurdistan de Syrie)

Dans Le Monde du 31 janvier 2019 est parue une tribune signée Patrice Franceschi : “La France joue un rôle majeur pour éviter le pire au Kurdistan de Syrie”. Patrice Franceschi n’est pas n’importe qui. Ecrivain, cinéaste, aventurier, capitaine du fameux trois-mâts “La Boudeuse”, il connait bien les Kurdes, qu’il côtoie depuis les années 90. Après la sortie de son livre “Mourir pour Kobanê”[[« Mourir pour Kobanê », de Patrice Franceschi, éditions Equateurs, 144 pages, 13 €]], il fut l’invité en 2015 du festival international du livre et du film Etonnants Voyageurs à Saint-Malo. “Mourir pour Kobanê” est le récit de terrain d’une guerre que l’on suit de loin, un dialogue avec des combattantes et combattants qui connaissent le vrai sens de leur combat. Patrice Franceschi leur rend un vibrant hommage : ils·elles ont sauvé Kobanê, devenue le symbole de la lutte contre Daech. Mais rien n’est joué pour autant.

Pour les Kurdes, la peste et le choléra… pas encore

On pouvait effectivement craindre le pire après l’annonce de Donald Trump, le 19 décembre dernier, de retirer sans délai les soldats américains déployés dans le nord de la Syrie et, par conséquent, d’abandonner brutalement les Forces démocratiques syriennes (FDS) dans le combat qu’elles mènent avec l’appui des forces alliées contre les islamistes. On craignait une invasion immédiate du Rojava par les armées turques, après les discours enflammés du « Reis » Erdoğan, faisant écho à celles non moins bruyantes de son ennemi/ami Donald, sans parler de la menace potentielle de Bachar Al-Assad et de ses troupes, soutenues militairement par la Russie, l’Iran et le Hezbollah libanais. Les Kurdes étant alors pris en étau. Mais il ne se passe rien de tout cela. Comme le précise Patrice Franceschi : “rien n’a bougé sur le terrain : pas le moindre signe de désengagement militaire des Occidentaux n’est à signaler à ce jour”. Au contraire, les FDS bénéficient de l’appui des Etats-Unis alors qu’elles ont lancé leur offensive, dans la région de Deir Ezzor à l’est de la Syrie, contre le dernier bastion de l’EI, rempli de centaines de djihadistes particulièrement déterminés. Le Pentagone affirme qu’aucun soldat américain ne partira avant des semaines – et encore, pour l’Irak tout proche. Et uniquement quand les problèmes sécuritaires et le sort des Kurdes auront trouvé une solution politique satisfaisante. Erdoğan n’a pas renoncé à ses projets hégémonistes, mais il en est radicalement empêché pour le moment. Tout comme Bachar Al-Assad, clairement sommé de ne pas franchir l’Euphrate. Tout cela n’est evidemment pas le fruit du hasard, pour Patrice Franceschi :

la France a déployé des efforts considérables pour éviter la catastrophe. Dans toute cette affaire, elle a véritablement été le pays le plus lucide, jouant un rôle central pour convaincre les Américains de faire machine arrière. Ce n’est pas un hasard si ces derniers ont fini par revenir à une position de fermeté vis-à-vis de nos adversaires régionaux et ont finalement décidé de maintenir, pour le moment, leurs forces militaires sur place. En la matière, Emmanuel Macron en a parlé directement à Donald Trump. Et à Vladimir Poutine. Sans oublier Recep Tayyip Erdoğan qu’il n’a pas ménagé […] il a poursuivi l’engagement de notre pays dans la coalition internationale contre Daech – on aurait pu craindre l’inverse – et n’a cessé de rendre hommage aux Kurdes qui combattent à nos côtés – ce dont ces derniers lui sont reconnaissants. Notre alliance stratégique avec eux s’en est trouvée revivifiée.

Création d’une zone de protection sous l’égide de l’ONU

Kendal Nezan, président de l’Institut kurde de Paris, qui publie une tribune dans Libération du 5 février, porte également un regard critique et inquiet sur la situation des Kurdes en Syrie et juge sévèrement l’attitude du président américain : “le retrait des forces américaines de Syrie pourrait avoir des conséquences dévastatrices pour les Kurdes ainsi que pour la crédibilité et la sécurité des pays occidentaux”. Il rappelle que les Kurdes ont sacrifié des milliers de leurs jeunes combattants, chassé les djihadistes, éliminé, neutralisé ou capturé plus de 30 000 terroristes et qu’à l’heure de la victoire les abandonner à la vindicte du “despote turc Erdoğan et du boucher de Damas” serait bafouer les valeurs d’honneur, de loyauté, de solidarité envers ceux qui ont versé leur sang dans le combat commun. Il ne fait évidemment confiance ni aux déclarations d’Erdoğan sur le respect de l’intégrité territoriale de la Syrie, ni aux garanties russes accompagnant un éventuel accord avec Damas, ni aux promesses américaines de protection des Kurdes “jusqu’à une solution politique en Syrie”. Kendal Nezan milite pour l’instauration d’une zone de protection pour les Kurdes et en appelle aux Européens et notamment à la France :

il reste une autre option, plus honorable et innovante: une initiative européenne pour la création d’une zone de protection dans les territoires du nord de la Syrie, contrôlés par les Kurdes et leurs alliés des FDS. La création de cette zone empêcherait à la fois toute invasion turque, le retour des troupes syriennes et l’usage, par les Iraniens, de ce couloir stratégique. Cette base territoriale permettrait aux Occidentaux de réduire l’influence de la Russie, de peser sérieusement dans les négociations sur l’avenir de la Syrie dans le sens de la démocratisation et de la protection des minorités. […] Le président Macron a une occasion historique de sauver l’honneur de la coalition internationale contre Daech en saisissant, de concert avec ses partenaires européens, notamment Berlin et Londres, le Conseil de sécurité pour demander la création d’une zone de protection sous l’égide de l’ONU.

André Métayer