L’effroyable blocus de Sûr (Diyarbakir) du 2 décembre 2015 au 31 mars 2016 – témoignage

Les Amitiés kurdes de Bretagne étaient présentes aux côtés des Kurdes pour célébrer la fête du Newroz à Diyarbakir. Ce fut l’occasion pour Brivael et Tony de participer à des entretiens avec les responsables politiques et associatifs et de recueillir des témoignages de victimes ou de témoins directs d’un blocus qui aura duré quatre mois sans savoir si demain le quartier, la ville ne seront pas à nouveau soumis au couvre feu et aux exactions en tous genres.

André Métayer

Sûr, quartier historique de Diyarbakir, porte le nom de ses remparts. Cette ville fortifiée cache en son sein plus de 600 monuments classés par l’UNESCO, de la mosquée de Plomb à l’église arménienne Saint Syriaque. 150 000 personnes habitaient encore ce centre-ville jusqu’aux premières attaques au mois d’aout dernier, suite à la déclaration par « l’Assemblée de la population » de l’autogestion de la ville. Les forces de l’ordre organisent alors le blocage de la ville pendant que les maires HDP, démocratiquement élus, sont emprisonnés, un par un, et que l’armée investit l’intérieur des murailles.

Le 2 décembre 2015, le blocus général est annoncé : interdiction de sortir ou de rentrer dans la ville, le couvre-feu et le blocus s’étendent désormais à des quartiers qui n’étaient pas encore touchés, 6 au total. Aucune information ne s’ébruite, les combats font rage mais seul le bruit des bombes et des armes est audible de l’extérieur des murailles. Il faudra attendre 9 jours pour que l’armée lève le blocage pendant une durée de 16h : ce court laps de temps permettant à 26 000 personnes de quitter la zone de conflit et aux habitants des zones libres de venir observer le chaos qui règne dans le cœur de la ville. Personne ne s’imagine alors l’étendue des dommages, ni ne s’attend à voir écrit sur les murs des slogans fascistes et des insultes contre les femmes. Les voix des victimes rapportent toutes les mêmes choses : lors de l’attaque de Sûr, il n’y avait pas que des forces militaires régulières turques, des forces spéciales ont également été déployées.
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Des forces spéciales très spéciales : un relent de Daesh

1-dsc06509.jpg1-dsc06515.jpg« On a cassé les dents aux Kurdes », « La République Turque est partout », « Nous sommes arrivés » … écrits en turc ou en arabe, sur les derniers murs encore debout du centre de Sûr, ces slogans sont signés des “Forces Spéciales de la Police”. Ces mêmes forces qui, selon les habitants ayant réussi à fuir, ne sont ni turques, ni kurdes. Ces mêmes forces qui ont laissé derrière elles des billets de banque russes ou arabes, des têtes de mort taguées sur les murs et marquées au vert l’intérieur de la ville des 3 lunes, ce symbole fasciste des Loups Gris, d’Alparslan Turkes et de l’ancien drapeau turc utilisé sous l’empire ottoman, symbole de la domination turque. Après avoir marqué à vif le cœur de la ville et la chair de ses habitants, les différentes forces présentes se sont employées à détruire et humilier le patrimoine culturel des minorités. Les sculptures présentent au centre des Bardes de Diyarbakir ont été décapitées et leurs têtes replacées de manière dégradante, les caves incendiées et les tableaux brulés. Les personnes présentent lors de ce saccage, dont nul ne pourrait ignorer les similitudes avec les modes d’opération de Daesh, rapportent que les instigateurs parlaient une langue qui leur était inconnue et qui ne ressemblait ni au turc, ni au kurde.
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Feleknas Uca, députée de Diyarbakir, dénonce

4 200 familles ont été déplacées, les associations locales s’occupant d’organiser la solidarité entre les habitants de la province de Diyarbakir puisque le gouvernement n’apporte aucune aide pour améliorer la situation. Blocus économique, encerclement militaire, contrôles quotidiens des habitants des quartiers sous couvre-feu… ces éléments constituent l’essence d’une stratégie d’occupation visant à asphyxier la ville. Alors qu’il reste des civils dans les quartiers où personne n’a pu rentrer, pas même les membres élus de la municipalité, une cinquantaine de corps ont été extrait des décombres lors des dernières semaines. La députée de Diyarbakir, Feleknas Uca, rapporte que le 13 mars, des habitants des quartiers sous blocus total ont établi un contact téléphonique avec le HDP, après l’annonce officielle de la fin des opérations militaire à Sûr. Cette prise de contact était un appel au secours, une demande d’aide :”si personne n’intervient nous seront tous morts”. Quelques jours plus tard, les corps de ces personnes ont été extraits des décombres : ” Le gouvernement n’a rien voulu entendre, n’a rien fait, ni le ministre de l’intérieur, ni le ministre de la santé : ces personnes ont été exécutées” nous a déclaré Feleknas Uca, le 24 mars 2016, à Diyarbakir. Les images qui ont réussies à fuiter des zones interdites d’accès, font état d’une ville complètement détruite, où des bulldozers déblaient les décombres, faisant table rase de l’ancienne ville et nettoyant les preuves d’un massacre. La Mosquée de Plomb aurait été détruite par les blindés de l’État et de nombreux monument appartenant au patrimoine mondial de l’humanité se trouvent dans un état de destruction avancé : “en détruisant Sûr, ils ont détruit le patrimoine des minorités de Turquie et donc le patrimoine de l’Humanité : ils veulent construire un nouveau Sûr, un Sûr turc.” (Feleknas Uca, 24 mars 2016, Diyarbakir).

Tony Rublon