Les Kurdes s’interrogent : le Hezbollah revient-il dans le jeu politique de la Turquie?

Apparemment tout est clair et limpide : la disposition nouvelle relative à la procédure pénale, entrée en vigueur au 1er janvier 2010, stipule qu’une personne inculpée et incarcérée pour appartenance à une “organisation criminelle” ne peut être détenue, sans jugement, au delà d’une période de dix ans. Dès les lundi 3 et mardi 4 janvier, dix-huit membres du Hezbollah turc incarcérés depuis 2000, dont Haci Inan, un des chefs de la branche militaire, étaient remis en liberté.

Rappelons que le Hezbollah turc[[Türkiye Hizbullahı est un mouvement islamiste sunnite, sans lien avec le Hezbollah libanais qui est chiite.]] a laissé des traces de sang derrière lui au Kurdistan de Turquie. Il fut, au cours des années 90, le bras armé des forces occultes gouvernementales chargé des sales besognes : enlèvements, disparitions, assassinats à “auteurs inconnus” ; on lui impute près de 3 000 meurtres de civils kurdes dont ceux de journalistes et d’hommes d’affaires ; les découvertes des “puits de la mort”[[Des corps suppliciés de Kurdes auraient été dissous à Silopi dans des cuves d’acide de la compagnie pétrolière turque, la Botas, membre du consortium européen “gazoduc Nabucco”.]] et de nouveaux charniers en 2009 ont ravivé les plaies.

D’aucuns s’étonnent donc de la rapidité avec laquelle la nouvelle disposition du code pénal a été appliquée dans un pays si souvent critiqué pour la lenteur de sa justice et la longueur excessive de ses placements en détention. On ne peut aussi que s’interroger sur les mobiles qui ont amené la Haute Cour de Justice d’Ankara à tergiverser durant dix ans et à se déclarer in fine dans l’incapacité à juger ces prévenus, alors que se déroule à Diyarbakir le procès de 151 Kurdes, cadres et élus politiques et associatifs, défenseurs des droits de l’homme et membres, pour la plupart, d’un parti politique légal.

Gultan Kisanak, Députée kurde co-présidente du BDP (Parti pour la Paix et de Démocratie qui a succédé au DTP), critique un système qui libère “des assassins de centaines de Kurdes” au moment où des journalistes sont condamnés à des “300 années de prison”. Elle dénonce une manœuvre politicienne et met en garde le pouvoir :

la participation du Hezbollah islamiste à la vie politique sera un désastre qui conduira le pays à la catastrophe… le système juridique est instrumentalisé par l’AKP, notre peuple ne le tolérera pas… l’AKP se doit de faire les réformes constitutionnelles nécessaires, supprimer les lois liberticides et transformer le système judiciaire actuel en un véritable mécanisme de justice.

Abdullah Öcalan, de sa prison d’Imrali, demande le bannissement des hommes du Hezbollah et dénonce pour sa part une connivence entre l’armée et l’AKP conduisant à la reprise des opérations militaires et à la politique répressive contre les Kurdes.

Des voix turques manifestent aussi leurs préoccupations et se disent inquiètes du retour en politique de ce mouvement islamiste violent.

André Métayer