Selahattin Demirtas : les assassinats, une provocation finement calculée

“Les crimes politiques et la quête de justice vus à travers les assassinats de trois militantes kurdes” était le thème du colloque qui s’est tenu à Paris le 28 janvier dernier. L’intervention de Selahattin Demirtaş co-président du HDP, accompagné d’Eyyup Doru, représentant le HDP en Europe, était attendue et a été écoutée avec attention par la délégation des Amitiés kurdes de Bretagne qui a participé à ce colloque. L’un des membres, Yvan T., nous livre le contenu de ses notes. C’est Selahattin Demirtaş qui parle.

Un contexte à hauts risques

Fin décembre 2012, on en était au 68ème jour de grève de la faim lorsque des entretiens à Imrali ont été entamés. En réalité les entretiens avaient débuté un peu avant, mais de manière non connue du public. Un nouveau processus chargé d’espoir avait commencé, alors que cette guerre liée à la question kurde est le problème le plus enraciné de la Turquie. Dès les premiers messages provenant d’Imrali, on a estimé que, cette fois-ci, une paix durable allait pouvoir être construite. La proposition d’A. Öcalan d’une paix sérieuse avait ému tout le monde et avait suscité beaucoup d’espoir. Il avait néanmoins prévenu que lors des précédents cessez-le-feu, des provocations avaient systématiquement eu lieu et qu’il fallait se préparer à toute éventualité. Ne sachant pas à quoi s’attendre, la consigne était en fait que chacun devait faire attention à lui-même. Les assassinats de Paris ont eu lieu dans ce contexte alors que personne n’avait imaginé ce type de provocation. Tout cela a été calculé finement pour provoquer les Kurdes. D’un seul coup, les sentiments de chacun basculèrent en Turquie et parmi les Kurdes. Soit on jugeait que le processus de paix était mort, soit on considérait qu’il fallait persévérer coûte que coûte. C’est la deuxième option qui a été choisie par le mouvement kurde. Le processus de paix a continué avec beaucoup de concessions. Les meurtres politiques ont toujours été utilisés pour façonner les évolutions politiques.

La France aurait dû exiger des explications

La France est un pays sur le sol duquel de nombreux meurtres politiques ont été commis. Dans l’affaire des trois femmes kurdes, les services secrets français ont connaissance de beaucoup d’éléments qu’ils ne partagent pas avec le juge. Et la Turquie fait tout pour que le dossier reste dans l’ombre. De ce fait, on peut parler d’une sorte d’association entre les deux Etats dans cette affaire pour ne pas révéler la réalité des choses. En pointant la responsabilité des services secrets turcs, la France aurait pu déchiffrer cette opération en analysant les raisons pour l’Etat turc de vouloir faire dérailler le processus de paix. On peut même extrapoler en imaginant que les attentats du 13 novembre 2015 à Paris n’auraient pas eu lieu si le triple assassinat du 9 janvier 2013 avait été correctement dénoncé. En exigeant fermement des explications de la part de la Turquie et en utilisant de son influence pour inciter à faire aboutir le processus de paix sur la question kurde en Turquie, la France aurait pu créer avec la Turquie des conditions qui auraient permis de limiter l’expansion de l’Etat islamique et sa capacité de frappe à l’extérieur. Si des relations entre la Turquie et le PYD avaient été simplifiées, grâce à des relations détendues en Turquie, l’Etat islamique n’aurait pas pu se développer de la même façon. Aujourd’hui, la Turquie fait obstruction à ce que le PYD soit à la table des négociations dans les pourparlers de Genève sur la Syrie. Or tous ceux qui cherchent la paix en Syrie savent très bien qu’on ne l’obtiendra pas en maintenant le PYD à l’écart des négociations. Aujourd’hui, les gouvernements occidentaux n’insistent pas sur le rétablissement de la paix intérieure en Turquie, qui est pourtant une condition importante pour le rétablissement de la paix en Syrie. Marchander les droits des Kurdes n’est pas une attitude correcte.