Un Président turc à Paris : va-ton parler de la question kurde ?

Le Président Abdullah Gül arrive aujourd’hui à Paris à l’occasion de l’inauguration de la “Saison de la Turquie en France”, au moment où règne dans son pays la plus grande cacophonie au sujet de la question kurde : telles dans un orchestre désaccordé, les voix turques chantent faux et la piste se dérobe sous les pas des danseurs pris à contre-pied, empêtrés dans leurs contradictions. la rue, de Diyarbakir ou de Hakkari, ne croit plus guère, aujourd’hui, au plan gouvernemental et se demande s’il ne s’agit pas d’une énième manœuvre visant “à diviser pour mieux régner” : quand bien même cette manœuvre réussirait, elle ne ferait que précipiter le pays dans le chaos et le désespoir. Le DTP ne s’y est pas trompé et a mis immédiatement les points sur les i. Les violences continuent, le Mouvement des femmes kurdes en Europe se fâche et fustige l’attitude des Etats-Unis et de l’Union européenne qu’elle juge complice.

Pourtant, les déclarations de M. le Premier Ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, faites après les élections régionales, timides, certes mais laissant néanmoins entrevoir une possible solution démocratique à la question kurde, avaient créé une grande espérance et provoqué une large discussion dans l’opinion publique : les kurdes, les responsables politiques comme les gens de la rue y croyaient d’autant plus que le PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan) avait prolongé le cessez le feu qu’il avait déclaré unilatéralement. Plusieurs intellectuels kurdes et turcs s’étaient même, à cette occasion, engagés dans le débat, par medias interposés.

Plus récemment encore, dans le traditionnel discours prononcé, le 1 octobre, à l’occasion de la rentrée parlementaire, le Président Abdullah Gül avait même choisi de mettre en exergue l’action de son premier ministre en faveur des Kurdes en déclarant solennellement : “Dans une société où la conscience et la démocratie sont mûres, le principe de diversité doit être à la base de ce pays. Les pays, qui s’en remettent à un modèle uniforme, nuisent en fait à leur unité et à leur intégrité”.

En autorisant à nouveau l’armée à procéder à des raids contre les rebelles kurdes en territoire irakien, le Parlement, dominé pourtant par l’A.K.P., le parti du Président et du Premier Ministre, fit entendre une autre musique ; seul, le Parti pour une société démocratique (DTP), la principale formation pro-kurde du pays vota contre cette mesure, estimant qu’elle allait à l’encontre des réformes du projet gouvernemental.

Aujourd’hui, la rue, de Diyarbakir ou de Hakkari, ne croit plus guère au plan gouvernemental qui exclut, à priori, un arrêt des opérations contre le PKK, une amnistie générale pour les rebelles ainsi qu’un amendement constitutionnel en faveur d’une reconnaissance officielle de l’identité kurde ; elle se demande s’il ne s’agit pas d’une énième manœuvre visant “à diviser pour mieux régner” : quand bien même cette manœuvre réussirait, elle ne ferait que précipiter le pays dans le chaos et le désespoir.

Le DTP ne s’y est pas trompé et a mis immédiatement les points sur les i, lors de son congrès, réuni le 6 octobre dernier, à Ankara : pas de soutien au plan gouvernemental sans modifications constitutionnelles et sans la participation du leader du PKK, Abdullah Öcalan, aux négociations de paix.

C’est donc l’impasse et les réactions sont de plus en plus vives : des slogans pro PKK ont, d’après l’agence Reuters, été scandés dimanche au congrès du DTP, et les Kurdes “rennais”, au retour de leur vacances “au pays”, rapportent que chaque enterrement d’un “résistant” tué au combat provoque de gigantesques rassemblements, avec effigie d’Öcalan et drapeaux du PKK, que l’armée et la police ne peuvent plus contenir.

Pourtant, la pression politique, policière, militaire et judiciaire n’a peut-être jamais été aussi forte : le DTP a publié une liste de 300 élus ou cadres locaux et régionaux détenus dans les prisons turques depuis les rafles qui se sont déroulées du 14 au 23 avril dernier, auxquels s’ajoutent des cadres syndicalistes ; de plus on apprend que 4 députés DTP, Selahattin Demirtaş (président du groupe parlementaire DTP), Emine Ayna (présidente du DTP), Sebahat Tuncel (députée d’Istanbul) et Aysel Tuğluk (députée de Diyarbakır), sont poursuivis pour des propos tenus avant leur élection.

Le Centre kurde des Droits de l’Homme de Genève dénonce dans un rapport adressé à l’UNICEF la guerre déclarée aux enfants et publie une liste de 332 enfants et adolescents tués entre 1989 et 2009.
Après les incidents de Diyarbakir du 28 mars 2006, 400 enfants selon les chiffres officiels (700 selon les familles) ont été interpelés et soumis à des traitements inhumains lors de leur garde à vue et dans les lieux de détention ; des peines hallucinantes ont été prononcées : 25 ans de prison pour des enfants ou adolescents accusés d’avoir caillassé des tanks !…

Le Ministère de la Justice admet avoir instruit, en 2006 et 2007, 4.784 affaires impliquant 11.720 personnes dont 737 enfants, dans le cadre de la loi de la lutte contre le terrorisme, 2.469 affaires – 422 enfants impliqués -, dans le cadre de l’Article 220 du TCK [le Code pénal turc] pour “appartenance à une organisation illégale et faits de propagande pour cette organisation illégale”, et 2.239 affaires impliquant 6.582 personnes dont 413 enfants dans le cadre de l’Article 314 du TCK, pour “appartenance à une organisation armée”. 500 enfants (chiffre en cours de vérification) seraient encore détenus dans les prisons turques.

L’agence Firat News Agency, (A.N.F.), pour sa part, relève l’indifférence et le mépris des autorités turques quand il s’agit de drames touchant la population kurde ; ainsi, A.N.F. (01-10-09) révèle qu’une fillette de 14 ans a été littéralement déchiquetée par un tir de mortier, alors qu’elle gardait le troupeau de ses parents, près du village de Ecemis (Lice, région de Diyarbakir), sans que les autorités, tant civiles que militaires, daignent se déplacer ; A.N.F. (02-10-09) révèle encore le peu d’empressement de la police à diligenter des enquêtes à la suite d’inquiétantes disparitions d’enfants à Diyarbakir et à Agri, -une quinzaine au moins-, mettant en cause un système mafieux de trafiquants d’organes.

Le Mouvement des femmes kurdes en Europe se fâche et fustige l’attitude des Etats-Unis et de l’Union européenne qui “essaient d’éliminer le mouvement de libération d’un peuple moyen-oriental dont la légitimité est avérée” et qui devraient constater qu’ils ne pourront stabiliser cette région sans la résolution de la question de la “libération du Peuple kurde” : “pourquoi les crimes, couramment commis en Turquie, en Syrie et en Iran, ne font-ils jamais l’objet d’une question inscrite à l’ordre du jour des instances européennes et des Pays de l’Union Européenne, s’interroge encore le Mouvement des femmes kurdes en Europe, faut-il voir là une discrimination raciale ?”. Et de conclure : ” La résistance des femmes kurdes pour la libération du peuple kurde est aujourd’hui connue partout dans le monde ; elle ne faiblira pas”.

Le Président Gül est à Paris : les Kurdes attendent les déclarations de l’Elysée et de la diplomatie française.

André Métayer