Avec 13 % des voix, le HDP est le grand vainqueur des élections législatives en Turquie

Selahattin Demirtaş a gagné son pari : avec 13,12% des voix (résultat publié par l’agence Anatolie, portant sur 99,55% des bulletins dépouillés à 08h00 le 8 juin), le HDP (Parti de la Démocratie des Peuples) enverra 80 députés à la Grande Assemblée nationale turque. Il s’agit d’un séisme politique car, pour la première fois depuis l’établissement du seuil de 10% au niveau national pour avoir des députés, un parti ouvertement démocrate, progressiste, écologiste, pacifiste et représentant toutes les minorités, accède en tant que tel à la Chambre et brise le monopole politique des islamistes de l’AKP. Le HDP est le troisième parti de Turquie en nombre de députés, ex-æquo evec le MHP. Lors des élections de 2011, 29 députés pro-kurdes avaient pu être élus, en se présentant en tant que candidats indépendants.

Une victoire massive au Kurdistan nord

Le HDP remporte magistralement les élections dans les provinces kurdes. Il est premier à Hakkari (87%), Şırnak (84%), Mardin (72%), Diyarbakir (77% – 10 députés sur 11), Batman (76%), Siirt (65%), Bitlis (59%), Van (73%), Muş (70%), Dersim (60%), Ağri (77%), Iğdir (56%), second à Bingöl (40%), Adıyaman (22%), Urfa (38%), troisième à Erzurum (17%) et Elaziğ (15%). Mais le HDP remporte également des provinces qui ne sont pas considérées comme kurdes : Kars (43%) et Ardahan (30%), tout comme il réalise de très bon scores dans les provinces très peuplées de la côte ouest : Izmir (10%, 2 députés), Antalya (7%, 1 député), Adana (14%, deux députés) et bien sûr Istanbul où il est troisième parti avec 12,6% et 11 députés.

La victoire du HDP permet l’élection de 31 femmes députées dans un pays où les femmes sont sous-représentées en politiques. Le HDP a également gagné l’élection d’un député arménien à Istanbul, d’un député assyro-chaldéen, de deux députés yézidis (dont une femme), toutes minorités traditionnellement rejetées par le système politique turc.

La victoire du HDP… et la défaite d’Erdoğan

Outre l’entrée du HDP au Parlement, le président Recep Tayyip Erdoğan, chef de file jusqu’à maintenant incontesté du parti islamiste AKP, subit deux cuisantes défaites supplémentaires : avec 40,86% des voix et 258 députés seulement, Erdoğan, qui rêvait d’une majorité de 330 sièges pour pouvoir faire modifier à sa guise la Constitution afin de renforcer ses pouvoirs “à la Poutine”, échoue totalement ; la majorité absolue se situant à 276 députés, il perd même la majorité simple et l’AKP n’est plus en mesure de gouverner seul le pays. Erdoğan, qui pouvait se targuer de bons résultats économiques il y a encore un an, a saboté lui-même une partie de sa base électorale par sa mégalomanie, son inconstance, sa politique étrangère erratique et notamment son soutien à peine caché aux terroristes de l’Etat islamique en Syrie et en Iraq.

Construire une coalition, dans le délai obligatoire de 45 jours, risque de s’avérer très ardu : l’AKP ne se tournera probablement pas vers le CHP, le parti kémaliste de gauche nationaliste, qui reste stable, de 26% des voix en 2011 et 135 députés à 25% en 2015 et 132 députés. Il lui reste la possibilité de s’allier avec le MHP, parti ultra-nationaliste de droite, ouvertement fasciste, qui remporte 80 députés avec 16,29% des voix contre 53 en 2011 avec 13%.

Quant au HDP, celui-ci exige, en préalable à toute discussion, une liste de mesures de démocratisation qu’Erdoğan ne peut pour l’instant supporter et Selahattin Demirtas a fait savoir que son parti n’appréciait pas du tout le revirement opportuniste de l’AKP contre la poursuite du processus de paix. Les attaques violentes – certaines mortelles – contre les militants du HDP, le double attentat de Diyarbakir le 5 juin et les innombrables cas de fraude constatés aujourd’hui, sur lesquels nous reviendrons grâce notamment aux témoignages de la délégation des AKB sur place, n’arrangent pas les choses.

Le HDP a démontré qu’il représentait une alternative crédible et avait dépassé le seul électorat kurde. “Cette victoire appartient à toute la Turquie. Je suis persuadé qu’elle changera aussi les rapports de force au Moyen-Orient” a déclaré hier soir Selahattin Demirtaş.