Avec la destruction du site archéologique d’Hasankeyf, Erdoğan commet un génocide culturel

La Cour européenne des Droits de l’Homme (CEDH) a pris, en février dernier, la regrettable décision de rejeter la plainte déposée pour protéger le patrimoine culturel d’Hasankeyf qui va être englouti sous les eaux du barrage Ilisu. Depuis 12 000 ans, Hasankeyf, située dans la région kurde de Turquie, est un site d’établissement humain ininterrompu. Des dizaines de cultures ont contribué à construire ce site exceptionnel qui s’étend sur les rives du Tigre et dans des vallées adjacentes. La fédération européenne « Europa Nostra » pour la sauvegarde du patrimoine culturel et naturel, partenaire de l’Unesco, avait identifié Hasankeyf comme l’un des sept sites les plus menacés au monde en 2016, et publié une déclaration le 29 juin 2017 déplorant que la Turquie, membre du Conseil de l’Europe, ne respecte pas les conventions de Granada et Valetta qu’elle a pourtant ratifiées.

12 000 ans d’histoire vont disparaitre le 10 juin prochain

En 2008, les Amitiés kurdes de Bretagne avaient attiré l’attention des autorités françaises, des élus locaux et du public sur la nécessité de sauver le site archéologique d’Hasankeyf. Une délégation s’était déjà rendue sur place, à plusieurs reprises, et avait participé le 18 mars 2008 à une manifestation au cours de laquelle des abricotiers avaient été plantés en présence de Hüseyin Kalkan, maire de Batman et d’Ayla Akat Ata, députée. Tout un symbole ! Une pétition avait été lancée. Devant l’ampleur des protestations nationales et internationales, la Turquie avait reculé et semblait avoir abandonné le projet. Mais rien de tel. En mars 2018, une délégation des AKB s’est rendue une nouvelle fois à Hasankeyf pour constater que les travaux de construction du barrage, dont la rentabilité n’est même pas démontrée, allaient engloutir cette ville historique. Ce projet, longtemps contesté, s’inscrit dans un ensemble beaucoup plus vaste, dans un projet dont l’objectif officiel est de fournir de l’électricité à la région et d’irriguer les terres agricoles, mais dont le but non avoué est de pouvoir faire pression sur les pays voisins proches, l’Irak et la Syrie, dont les fleuves Tigre et Euphrate constituent la principale ressource en eau. Et, bien sûr, rien n’est fait pour préserver les vestiges de cette ville ancienne. La mise en eau du barrage fixée par le gouvernement turc au 10 juin prochain fera disparaître 12 000 ans d’histoire.

Eradiquer toute opposition … même les pierres !

Hasankeyf n’est pas la seule cible d’Erdoğan. Tout ce qui n’est pas d’origine islamique ou ottomane est voué à la destruction. Il y a une volonté d’éradiquer tout ce qui pourrait s’opposer à son pouvoir … même les pierres, vestiges des différentes cultures, des différentes religions, des différentes identités qui, dans leur diversité, ont créé les peuples d’aujourd’hui. Pour ce faire, Erdoğan n’hésite pas à remplir les prisons, à fermer tous les moyens d’expression, à fouler au pied tout processus démocratique, y compris les élections, quand le résultat n’est pas conforme à ses plans. Un quartier historique comme celui de Sur, au centre de Diyarbakir, a été sciemment détruit lors des affrontements de 2015, sinistré, vandalisé, martyrisé par une horde de sauvages. Gultan Kisanak, maire de la ville métropolitaine de Diyarbakir a publié un rapport listant les dommages causés à la vieille ville durant le couvre-feu. Il est accablant. Mais l’Etat turc, responsable de ces destructions massives, va encore plus loin : il a procédé à l’expropriation de toutes les parcelles disponibles, dans le but non avoué mais évident d’éradiquer toute forme de culture autre que celle voulue par le pouvoir despotique : on veut turquifier Diyarbakir et Sur est reconstruite selon les normes du régime.

André Métayer

Une centaine d’ONG réunie dans “Pour Hasankeyf” a lancé un appel intitulé “Il n’est pas trop tard pour sauver Hasankeyf et le fleuve du Tigre”