Des lettres de Necmiye Boz franchissent les murs de la prison d’Elaziğ

Suite à mon invitation dans un précédent échange de courrier avec Hülya Alökmen Uyanık, Necmiye Boz, une de ses compagnes de détention dans la prison d’Elaziğ, nous a livré le 18/04 un pan de son histoire, qui l’a conduite dans la section D-4 de cet établissement pénitentiaire de type T où elle purge depuis 6 ans une peine de 11 ans et 6 mois de réclusion.

Necmiye Boz est née en 1979 à Bulanik, ville-district de la province de Muş frontalière de l’Iran, connue pour “l’affaire Bulanik”, un scandale vite étouffé à propos d’un incident violent survenu le 15 décembre 2009, qui fit deux morts et une dizaine de blessés après que les forces de l’ordre eurent tiré sur la foule venue manifester contre la fermeture du parti politique pro kurde de l’époque, le Parti de la société démocratique (DTP). C’est une région frappée durement par la répression. Plusieurs dizaines de famille ont fui cette région et sont venues se réfugier en France et notamment à Rennes. Le livre “Karapinar” en témoigne (Délégation rennaise Kurdistan, 2003, photos G. Le Ny, textes A. Métayer).

Necmiye Boz est née dans une famille patriote

Ma famille est patriote, c’est à dire une famille qui s’approprie son identité, sa langue et sa culture kurde. J’ai toujours travaillé au sein des organisations qui demandaient la résolution de la question kurde (HDP, Kurdi-Der, IHD, DTK, TUHAD-FED, les associations de femmes, Fondation KA-MER). En janvier 2017, j’ai été arrêtée du fait de mes activités. Comme tous les autres militants politiques kurdes, j’ai moi aussi été injustement condamnée à une lourde peine : 11 ans et 6 mois de réclusion. Cela fait près de 6 ans que je suis en prison, je suis passée par Muş et Elaziğ. Comme mes camarades, j’ai été victimes de sévères punitions. Je me suis opposée à l’interrogatoire par visio-conférence, j’ai donc été envoyée trois fois au mitard. Et de ce fait, mes réductions de peine ont été annulées. Je vais donc devoir passer trois ans de plus en prison. S’agissant des autres punitions, Leyla a déjà dû tout vous raconter. Par exemple, l’interdiction de chanter dans la langue maternelle, etc. Ici, comme bien d’autres, je passe mon temps à lire et on peut dire que cela me fait progresser.

En tant que détenues politiques, nous essayons d’utiliser au mieux notre temps, pour apprendre et progresser tant politiquement, socialement que culturellement. Et la solidarité des amis comme vous ne fait renforcer notre moral.

J’aimerais vous présenter nos beaux paysages. Je vous remercie à nouveau, toi et tous les amis qui nous soutiennent. Vous le savez, nous sommes dans notre droit et nous allons triompher. Depuis la prison d’Elazig, salutations et amitié à tous nos camarades. Portez-vous bien.

André Métayer

Photo : Necmiye Boz , Hülya Alökmen Uyanık, Remziye Yaşar

FONDATION KA-MER : Fondation qui lutte contre les violences faites aux femmes.Necmiye Boz a été présidente de la branche de Muş. Elle a déclaré le 25 novembre 2011, à l’occasion de la Journée pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes : “on oublie souvent que la violence à l’égard des femmes ne peut être gérée et résolue indépendamment de la violence dans d’autres domaines de la vie. Il n’y a pas de violence justifiée.”

KURDI-DER : Association de recherche et de développement de la langue kurde, créée en 2006 et interdite en 2016 au motif « d’appartenance, d’affiliation ou d’affiliation à des organisations ou structures, formations ou groupes terroristes opérant contre la sécurité ».

IHD : Association de Défense des Droits de l’Homme créée en 1986 à Ankara, à la suite d’une recrudescence de faits de maltraitance sur les prisonniers politiques. L’IHD est membre de la Fédération internationale des Droits de l’Homme (FIDH).

DTK : Congrès pour une société démocratique, le plus vaste réseau d’organisations kurdes. Il a servi de plateforme démocratique pluraliste réunissant des représentants de partis politiques, d’ONG, de conseils locaux, de syndicats, de mouvements de défense des droits des femmes ou écologistes et de nombreux autres acteurs.

HDP : Parti démocratique des Peuples, représenté au parlement turc. Issu du mouvement politique kurde et des mouvements écologistes (Gezi), le HDP regroupe plusieurs organisations de gauche dont le DTP et défend les droits des victimes du régime islamiste turc, en premier lieu les Kurdes, les femmes, les LGBT.

TUHAD-FED : Association de solidarité avec les familles des détenus condamnés.