Des lettres d’Emine Erkan franchissent les murs de la prison d’Elaziğ

“Je vous adresse, depuis la prison d’Elaziğ, mes respectueuses salutations. Je vous souhaite vivement d’être en bonne santé. J’ai lu la lettre que vous nous avez envoyée par l’intermédiaire de notre amie Hulya. Je souhaite avant tout vous exprimer ma profonde reconnaissance pour votre solidarité et pour celle de tous ceux qui collaborent avec vous.

Je me présente : Emine Erkan, je travaillais au centre culturel et artistique mésopotamien, appelé MKM (Mezopotamya Kültür Merkezi en turc, Navenda Çanda Mezopotamya en kurde), dont l’objectif est de développer la culture kurde, la musique kurde, le théâtre kurde, auprès de la jeunesse, auprès des enfants. Le MKM a subi la même répression que les mairies qui ont vu leurs maires destitués et remplacés par des administrateurs. Tout a été mis en place pour faire obstacle à notre volonté politique, à notre liberté. Au MKM, je donnais des cours de musique à un groupe musical de femmes. Je chantais aussi.

En 2016, j’ai été arrêtée et mise en détention. J’avais alors 19 ans. J’ai été condamnée à 8 ans et 9 mois de prison. Je suis incarcérée depuis 6 ans et, normalement, j’aurais dû être libérée en janvier. Mais la décision a été annulée et ma peine d’emprisonnement a été prorogée de 3 ans pour avoir obstrué la caméra de surveillance qui nous filme en permanence. Oui, j’avais mis un cache sur la caméra car il est extrêmement dérangeant d’être filmée à tout moment. A la suite de cette décision, j’ai été mise en cellule d’isolement. Cette privation supplémentaire de liberté (privation de “promenade”) nuit à la santé des détenus et, plus le temps passe, plus il est difficile de respirer.

Le détenu, en prison, n’a aucun droit. Les conversations téléphoniques sont sous contrôle. Un détenu de droit commun peut téléphoner trente, jusqu’au soixante minutes par semaine, mais un prisonnier politique n’a droit qu’à dix minutes. Un prisonnier politique n’a pas le droit de participer à une vidéo conférence. Les détenus de droit commun bénéficient en général de conditions carcérales plus favorables et souvent n’accomplissent que partiellement leur peine, tandis que, dans notre cas, c’est tout le contraire. Près de 90 000 détenus de droit commun ont été libérés dans le cadre des mesures sanitaires liées à la pandémie du Covid. Par contre, pour les prisonniers politiques, mêmes les personnes gravement malades n’ont finalement pas été libérées. Les personnes qui tuent des femmes, qui volent, qui vendent de la drogue, qui commettent toutes sortes de monstruosités, reçoivent des faveurs, alors que les personnes comme nous, qui sont emprisonnées pour des motifs politiques, subissent toutes les injustices qui sont possibles en milieu carcéral.

Il ne me reste qu’une seule voie possible, c’est essayer de rester debout. Persévérer, approfondir, poursuivre notre lutte. Votre solidarité vient nous réconforter dans cette lutte. Nous n’avons aucune autre solution que de regarder vers la lumière, même s’il s’agit d’une petite lueur. Nous ne perdons pas espoir. Malgré tout, malgré toutes ces injustices, ces conditions si difficiles dans lesquelles nous nous trouvons, nous continuons à chanter. Nous ne cesserons jamais de continuer à chanter. Nous nous trouvons entre 4 murs et nous essayons de vous faire parvenir notre chant. Et nous sommes réconfortés de savoir que notre voix arrive jusqu’à vous.

Je souhaite vous retrouver au prochain Newroz, pour célébrer la liberté au rythme d’une danse kurde. Je renouvelle toutes mes respectueuses salutations et mes vœux de très bonne santé. Nous sommes sûrs que tôt ou tard, cette situation va se retourner, que les victimes seront libres et que les bourreaux se trouveront derrière les barreaux. Pour votre information, je suis originaire de la ville de Sirnak.

Avec tous mes respects et mes amitiés.”

Emine Erkan

Photo : Emine Erkan avec Necmiye Boz