Être écologiste sous les bombes chimiques

La région de Hakkari, frontalière de l’Irak et de l’Iran, est au cœur du Kurdistan, terre riche de ressources naturelles. Elle est aussi, de part son emplacement stratégique, le théâtre d’affrontements entre les guérilleros du PKK et l’armée turque qui n’hésite pas, pour combattre la guérilla dans cette région montagneuse difficile d’accès, à utiliser les armes chimiques par voie aérienne :

les bombardements par l’aviation turque sèment la mort : ils détruisent toute vie, celles des hommes, mais aussi la nature.

Ainsi s’exprime un militant de Cilo doga dernegi, une association qui fait de l’écologie son axe de lutte. Elle tire son nom de la chaîne de montagnes Cilo, culminant à 4 100 mètres, impressionnante par ses glaciers aux parois vertigineuses, riches de plantes qu’on peut cueillir dans des prairies splendides à 3 000 m. d’altitude. Témoin oculaire des combats, ce militant écologiste nous fait partager son émotion et sa révolte.

Un écosystème bouleversé et une économie détruite

C’est une région riche de ressources naturelles mais l’utilisation d’armes chimiques a provoqué beaucoup de dégâts. Les affrontements ont forcé les animaux à se réfugier ailleurs.

Les actions des militaires pour empêcher le ravitaillement de la guérilla et l’utilisation des gaz chimiques ont bouleversé l’écosystème. Bon nombres d’espèces, même protégées, ont ainsi disparu comme les chèvres sauvages, les loups blancs, une variété de tigre, de poisson et une espèce de vers de terre aux propriétés médicinales.

L’impact est tant culturel qu’économique. Outre la destruction des traces des civilisations passées et de ses monuments (comme les églises arméniennes), le développement de l’économie locale se retrouve entravé par la guerre entrainant un important exode rural. La main d’œuvre de Hakkari s’est trouvée déplacée vers les métropoles environnantes. Les travailleurs, qui ont commencé à revenir à partir de 2002, l’ont fait dans l’optique de reconstruire les villages et les maisons. D’autre part, la disparition de la flore, depuis ces deux dernières années, impacte fortement la production de l’artisanat local. C’est un handicap certain pour nos amis de l’atelier Rengin de Hakkari qui teinte la laine utilisée pour le tissage des kilims avec des procédés traditionnels, c’est-à-dire avec des colorants à base de feuilles, de racines et de plantes cueillies dans la montagne. Quant à l’apiculture, elle a vu sa production chuter :

les gaz chimiques ont tué les fleurs et les abeilles ne produisent plus que 10 kg de miel au lieu de 30 kg auparavant. Et pourtant c’était le meilleur miel en raison de la diversité des fleurs de la région.

L’association Cilo a dénoncé ces destructions, tout comme le club de sport de montagne Zirve dagcilik Hakkari. Les militaires, à travers les persécutions et les procès toujours en cours, tentent de les faire taire. Pendant cette guerre il était interdit d’aller dans les montagnes, ce qui a posé un problème économique pour les éleveurs de la région. Ces associations de par leur activité sont accusées de soutenir la guérilla et de la nourrir.

Entre projet d’avenir, crainte et espoir

Depuis deux ans, l’association fait part de ses craintes et sensibilise la population à la protection de l’environnement par des campagnes d’information et de formation. Sa campagne de nettoyage est utile mais insuffisante tant la région connait d’importants problèmes sanitaires :

il y a beaucoup de déchets qui trainent et lorsque monte le niveau des rivières, les sacs poubelles remontent aussi.

L’idée d’une association pour le tri des déchets n’a pu aboutir faute de financement. L’enjeu principal auquel doit faire face l’association est de sensibiliser une population pour qui le combat primordial est de lutter pour la démocratie.

Le processus de paix entamé par le gouvernement turc avec Öcalan suscite des craintes tant chez les membres de l’association Cilo que chez ceux du club de sport. Pour autant, les pourparlers font naître l’espoir d’une ouverture économique et écologique. En effet, une réflexion est menée pour développer le tourisme sportif sur les glaciers et faire découvrir la région. Un fascicule a été conçu dans ce sens répertoriant la faune, la flore et les antiquités de la région :

nous avons également un livret et un diaporama. On peut présenter la nature et les différents monuments à visiter, les ponts, les statues, les églises, les écritures sur les rochers.

Quand les mines anti-personnelles bloquent l’économie

Cette guerre de trente ans, qui a détruit l’homme et la nature pose un autre souci pour les projets d’avenir. Les mines sont nombreuses et un siècle ne suffira pas à tout nettoyer :

la semaine dernière, un berger a marché sur l’une d’entre elles et il a perdu sa jambe. Actuellement il est à l’hôpital.

Il est important de rappeler que l’Association turque des Droits de l’Homme (IHD) accuse la Turquie de crime de guerre suite à son utilisation d’armes chimiques, de gaz toxiques et de bombes à sous-munitions contre les HPG (branche armée du PKK). Et l’association Cilo d’ajouter qu’aucune étude n’a été à ce jour entreprise sur l’impact de ces gaz.

Clio organisera fin juin son Festival de la Paix, de la Culture et de l’Ecologie. Mais pour l’heure, les autorités refusent l’autorisation de son déroulement. L’association, qui ne baisse pas les bras, a fait deux demandes au niveau européen pour protéger ce patrimoine, en souhaitant que des partenariats se développent avec les Kurdes d’Iran et d’Irak.

Anne-Sophie