François Hollande en Turquie

La presse ne manque pas l’occasion de le souligner : c’est le premier voyage officiel du Président de la République française en Turquie depuis le voyage de François Mitterrand en 1993 et surtout quelques mois après la violente répression des manifestations de la place Taksim à Istanbul. Pour Le Monde daté du 11 janvier,

le timing provoque la colère des démocrates turcs. En se rendant à Ankara pour signer quelques contrats, M. Hollande légitimerait, selon eux, le pouvoir autoritaire et contesté de M. Erdogan, à l’heure d’une nécessaire remise à plat. En tentant de se rapprocher de la Turquie au moment où cette dernière s’éloigne des valeurs européennes, la France prend encore le risque de nager à contre-courant.

En France, il est un usage récurrent qui consiste à procéder à des arrestations de Kurdes à chaque fois qu’un Président ou un Premier ministre de Turquie est reçu à l’Elysée ou à Matignon. La réciproque est vraie aussi et le déplacement du Président Hollande n’échappe pas à la règle : la police a procédé à l’interpellation d’un Kurde, réfugié politique, soupçonné d’être “en relation avec une entreprise terroriste” le 21 janvier, à Marseille. Sa garde à vue n’a pas dépassé, cette fois-ci, 24 heures. Geste symbolique ? D’après une source kurde, ce sont près de 250 Kurdes qui ont été arrêtés depuis 2007 sur le sol français pour des motifs politiques. Ces arrestations sont souvent intervenues avant et après des rencontres entre les deux pays.

Dans une lettre adressée au Président de la République, la Coordination nationale Solidarité Kurdistan (CNSK) qui compte 14 organisations régionales et nationales et la Fédération des Associations kurdes de France (FEYKA) qui regroupe une vingtaine d’associations kurdes demandent que les questions de la démocratie, du respect des droits humains constituent un volet des entretiens prévus avec les plus hautes autorités du pays.

L’assassinat à Paris des trois militantes de la cause kurde

Ces organisations posent la question de la coopération policière et judiciaire entre les deux pays à propos de l’instruction ouverte sur les assassinats à Paris le 9 janvier 2013 des trois militantes de la cause kurde, Sakine Cansiz, Leyla Saylemez et Fidan Dogan :

les récentes révélations parues dans les médias turcs, ainsi que les articles de correspondants en Turquie, ceux de la presse française, font état de liens possibles entre le présumé meurtrier et des services liés à l’Etat de ce pays. Il nous semble important que ces informations puissent être vérifiées, afin que la Justice française dispose de tous les éléments lui permettant la manifestation de la vérité sur ce drame.

Des milliers de détenus politiques en Turquie

Par ailleurs, la France ne peut se satisfaire, fût-ce avec un pays «ami», de relations bilatérales qui fassent l’impasse sur la réalité de la situation démocratique qui prévaut en Turquie. Au moment où vous effectuerez votre visite, des milliers de prisonniers politiques croupissent depuis des années dans les prisons turques. Reporter sans Frontières et l’Association internationale des Journalistes ont qualifié ce pays de plus grande prison du monde pour journalistes.

Et de citer les élu(e)s, parlementaires, maires, adjoints aux maires, conseiller régionaux emprisonnés par centaines et les avocats accusés de séparatisme pour avoir assuré la défense de leurs clients, mais aussi de nombreux enseignants, des étudiants, des responsables associatifs, un grand nombre de femmes et de nombreux enfants.

La France ne peut rester silencieuse sur une situation caractérisée en Turquie par de graves atteintes à la démocratie, la liberté d’expression, le droit à l’existence et la reconnaissance des minorités. Elle ne peut également ignorer la volonté du peuple kurde à vivre dans le respect de son identité.

André Métayer

CNSK-2014-01-22-hollande