Genève 2 sans les Kurdes, c’est un remake du traité de Lausanne de 1923

Le traité de Lausanne de 1923 avait ignoré les Kurdes et avait notamment biffé d’un trait de plume des dispositions du traité de Sèvres de 1920, qui prévoyait un Kurdistan réunissant les Kurdes d’Irak, de Turquie, de Syrie. Il faut dire que les Kurdes avaient été exclus de la conférence et que c’était Mustafa Kemal, le futur Atatürk (“père des Turcs”), qui était chargé de les représenter. De ce mépris affiché, tant par les puissances européennes que par la Turquie, est née une immense frustration engendrant de nombreuses révoltes qui ne cesseront pas, il faut bien se le dire, avant la reconnaissance des droits auxquels tout peuple aspire. Et voici que l’histoire se répète avec la conférence Genève 2 sur la Syrie, où les Kurdes de Syrie ne sont pas invités.

Les Kurdes de Syrie

Les Kurdes sont 3 millions en Syrie dont 600 000 dans deux quartiers kurdes d’Alep et 400 000 autour de Damas. Cette minorité dont on ne parle jamais, c’est 15 % des 22 millions de Syriens. Entre le régime de Bachar al-Assad qui les a durement réprimés durant des années, sans susciter la moindre réaction de la part de quiconque et le Conseil national syrien (CNS) qui ne veut pas reconnaître l’identité kurde, ils construisent leur avenir en renforçant leur défense à partir des villes qu’ils contrôlent. La région kurde de Syrie est pour l’instant quasi autonome, sous l’impulsion des partis politiques kurdes syriens, principalement du Parti de l’Union démocratique (PYD). La sécurité est assurée par des unités de défense populaire (HPG) et des comités locaux de citoyens ont été formés pour régler les questions de la vie quotidienne (éducation, santé, commerce, rapport avec l’administration…). Leur position est claire : “nous ne sommes pas en accord avec la ligne tracée par les Américains, le Qatar et la Turquie pour soutenir les islamistes. Mais nous ne soutenons pas plus le plan de l’Iran, de la Chine et de la Russie pour protéger le régime d’Assad”. Le Kurdistan syrien (appelé Rojava ou Kurdistan occidental) vient d’adopter une constitution qui le divise en trois cantons : Kobani, Afrin et Djezira (créé autour des villes de Qamishli, Rass al-Ain, Dêrîk et Hassaka). Elle garantit les droits humains, les libertés, l’égalité hommes/femmes et reconnaît trois langues officielles : le kurde, l’arabe et le syriaque. Des élections devront avoir lieu d’ici quatre mois pour élire les parlements des cantons.

A noter également que les Kurdes combattent courageusement et efficacement pour défendre leur territoire. Les HPG doivent faire front aux djihadistes de l’Etat islamique en Irak et du Levant (EIIL), aux troupes du Front al-Nosra, aux mercenaires venus de l’étranger et autres djihadistes soutenus et financés par des pays étrangers qui participent à la conférence de Genève.

La conférence Genève 2

La conférence Genève 2 a commencé à Montreux en Suisse. Les représentants d’une quarantaine de pays sont là, ainsi que les représentants du gouvernement syrien et des représentants du Conseil national syrien (CNS) qui apparaît d’ailleurs, une fois de plus, divisé. Mais pas de délégation kurde. Pour Laurent Fabius, le ministre des Affaires étrangères français, “l’ordre du jour c’est de bâtir un gouvernement de transition en Syrie, doté de tous les pouvoirs exécutifs” mais les protagonistes s’opposent sur l’interprétation des principes actés en juin 2012 lors de la conférence de Genève 1. Les Occidentaux veulent un gouvernement de transition sans Bachar el-Assad, une condition que réfutent les Russes et les Syriens pro-Assad. Et sans les Kurdes ? Cette méfiance du camp occidental, il faut sans doute la chercher dans les relents de la Guerre froide qui semble renaître autour de la table de ce Genève 2. Si le PYD était un parti social-libéral, ou même social-démocrate, il aurait été sans doute admis à la table des négociations, mais l’organisation basée sur un principe d’une autonomie démocratique qu’il met en place fait peur, malgré (ou à cause de ?) la réussite de cette politique face au chaos qui règne dans les autres régions de Syrie. “La France va mettre tout son poids pour mettre en œuvre une solution politique” dit encore Laurent Fabius. Oui, mais laquelle? C’est ce qui inquiète le puissant président du Kurdistan irakien, Massoud Barzani, pourtant peu suspect de complaisance idéologique avec Salih Muslim, président du PYD, auquel il apporte un soutien indirect :

des organisations et groupuscules terroristes liés à Al-Qaïda sont très actifs en Syrie et constituent une menace directe pour le Kurdistan. En aucun cas il ne faut donner la chance de donner le pouvoir en Syrie à ces organisations terroristes. Pour l’heure, il n’est pas évident de dire que les forces démocratiques, l’Armée libre de Syrie, seront l’alternative du pouvoir en place à Damas, car ce sont les organisations terroristes qui tiennent le haut du pavé.

André Métayer