La levée de l’immunité parlementaire : un pas de plus vers la dictature en Turquie

“La Turquie est en train de s’éloigner très rapidement des principes de la démocratie et de l’État de droit” écrivent Selahattin Demirtaş et Figen Yüksekdağ, co-présidents du parti pro-kurde HDP (Parti de la Démocratie des Peuples), à la suite de la décision de la Commission constitutionnelle de présenter au vote du parlement la proposition gouvernementale de retirer aux députés leur immunité parlementaire. Cette décision a été votée après des débats houleux allant jusqu’à provoquer des rixes entre élus. Le HDP voit dans cette proposition une manœuvre visant à écarter du Parlement ses élus qui, sans leur immunité, seront poursuivis et condamner par une justice, elle-même phagocytée, pour “propagande terroriste” ou “soutien à une entreprise terroriste”.

Selahattin Demirtaş, la bête noire du président Erdoğan, qui a juré sa perte, est le premier visé. Les arrestations massives, l’emprisonnement de milliers d’élus locaux, de dirigeants et militants politiques et associatifs de ce parti, les attaques armées contre ses permanences, la criminalisation de toutes critiques contre l’AKP, le parti islamo-conservateur au pouvoir, les tricheries en tout genre n’avaient pu empêcher l’entrée de députés kurdes à la Grande Assemblée de Turquie. La levée de l’immunité parlementaire est la dernière arme inventée par le monarque pour éliminer la seule opposition parlementaire crédible à sa folie démoniaque. La conséquence est dramatique : c’est tout un peuple, le peuple kurde, qui est poussé à la rébellion.

Le Conseil démocratique kurde en France (CDK-F), qui se réunit en assemblée générale le 7 mai à Paris, ne manquera pas d’interpeller les autorités françaises.

La France ne peut plus se contenter de paroles lénifiantes

La France ne peut pas, la France ne peut plus se contenter de suivre “avec préoccupation la dégradation des conditions sécuritaires dans le sud-est de la Turquie”, de suivre “attentivement les procédures” engagées à l’encontre de personnalités de la société civile, de rappeler à la Turquie son attachement à la liberté d’expression. Elle doit prendre des initiatives fortes et sans ambiguïté. Si la priorité absolue, dans la lutte contre l’Etat islamique, est l’union des puissances régionales et/ou internationales, faisant fi de leurs idéologies antagonistes, politiques et/ou religieuses, cette union ne pourra se faire sur le dos des Kurdes, présents dans quatre pays impliqués directement dans cette guerre et participant – ô combien – à la lutte armée contre l’EI, mais exclus de la table des négociations à la demande de la Turquie. Les Kurdes ne peuvent accepter que se renouvelle l’erreur du traité de Lausanne de 1923.

Une paix durable ne pourra non plus se faire sur le dos de la démocratie. La France “soutient le retour du processus de dialogue sur la question kurde, qui avait été initié en 2013 et qui avait permis des avancées et de renforcer la stabilité de la Turquie”. Ces négociations avaient commencé à porter leurs fruits parce qu’elles étaient menées, il faut le dire, avec un interlocuteur incontournable : Abdullah Öcalan. Et ce malgré la situation inacceptable dans laquelle il se trouve. Ce dialogue doit reprendre, bien que l’échec de ces négociations fasse douter de la sincérité d’Erdoğan, responsable de cette rupture unilatérale. Elles doivent conduire à l’arrêt des situations de guerre civile, au retour à la vie civile des milliers de combattants, à la libération de tous les détenus politiques, au rétablissement des libertés individuelles et collectives, à la liberté de la presse, à une nouvelle définition de la citoyenneté dans une constitution préconisée par le HDP, fondée sur la reconnaissance de l’égalité des identités, des langues, des croyances et des cultures.

La France est attendue sur ce terrain.

André Métayer