La réponse de l’Elysée à la Coordination nationale Solidarité Kurdistan n’est pas à la hauteur de la situation

Le 25 août dernier, la Coordination nationale Solidarité Kurdistan (CNSK) demandait solennellement à M. François Hollande, Président de la République, de condamner publiquement les actes de guerre et de barbarie à l’encontre du peuple kurde – d’où qu’ils viennent – et d’intervenir auprès de la Turquie pour lui rappeler ses obligations. Elle rappelait le rôle joué par les forces militaires kurdes, y compris celles du PKK, pour stopper l’avancée des djihadistes, sauver les milliers de Kurdes yézidis encerclés sur le mont Sinjar, libérer Kobanê et enlever au prétendu « Etat islamique » (EI) la place stratégique de Tel Abyad, pendant que la Turquie restait l’arme au pied, prêtant plus ou moins discrètement main forte aux djihadistes et réprimant toute tentative de soutien des Kurdes de Turquie à leurs frères du Rojava.

Cette lettre précisait que le président Erdoğan était entré en guerre le 24 juillet dernier contre ses propres concitoyens d’origine kurde, avait fait voler en éclat le processus de paix engagé depuis deux ans avec Abdullah Öcalan et que son armée se livrait, à l’identique des terroristes de l’EI, à des actes de barbarie à l’encontre des populations civiles en « Anatolie du Sud-Est » (Kurdistan-Nord) : villages incendiés, d’autres coupés du monde, fusillades, arrestations visant en particulier les cadres et les élus du HDP, parti légal comportant 80 députés dont les co-présidents, Selahattin Demirtas et Figen Yuksekdag, sont l’objet d’une procédure judiciaire. La réponse décevante de l’Elysée, datée du 15 septembre, sous la plume de la Chef de Cabinet du Président de la République, crée un malaise difficilement dissimulable.

L’attaque de Suruç ne donne aucuns droits à la Turquie

Le droit pour la Turquie de réagir aux attaques sanglantes dont elle a été la cible avec l’attaque de Suruç, qui a fait 32 victimes le 20 juillet dernier, ne peut être contesté. Le plein engagement de la Turquie dans la lutte contre Daesh, que la France poursuit dès le premier jour, est utile et nécessaire,

écrit l’Elysée.

Comment peut-on se donner autant de verges pour se faire battre ?

Non, l’odieux attentat de Suruç, qui a fait 33 morts et une centaine de blessés, n’a pas visé la Turquie mais des jeunes militants socialistes turcs et kurdes venus pour reconstruire Kobanê, une initiative qui n’était pas encouragée par le pouvoir turc, c’est le moins qu’on puisse dire. Notons que l’EI n’a pas, contrairement à ses habitudes, revendiqué l’attentat. Aucune enquête sérieuse n’a été menée et on s’interroge toujours sur la facilité avec laquelle les membres de l’EI circulent en Turquie. L’hypothèse d’une manipulation est dans toutes les têtes, Erdoğan et les services secrets turcs sont montrés du doigt, comme ils l’ont été aussi dans d’autres affaires non élucidées, ou le sont aujourd’hui dans l’attentat dont ont été victimes, à Paris, Rojbîn, Sakine et Leyla. Il est donc pour le moins imprudent, au vu des nombreux points d’ombre qui planent sur cette attaque, d’emboiter le pas à la propagande turque, relayée à souhait par ses officines parisiennes.

Oui, Monsieur le Président, le plein engagement de la Turquie dans la lutte contre l’EI serait utile et nécessaire, mais force est de constater qu’il n’existe pas. Tous les observateurs ont remarqué que les bombardements n’ont pas visé l’EI et que la seule préoccupation du Sultan est de renverser la table en créant la confusion pour gagner le jackpot avec les élections de novembre prochain. Pour Erdoğan, le plus grand danger n’est pas l’EI mais les Kurdes qui, en plus, ont contesté dans les urnes sa prétention à devenir le seul maitre à bord. C’est la raison pour laquelle les élections de juin dernier ont été annulées et que les électeurs sont appelés à revoter.

Le soutien appuyé à Erdoğan passe mal

Le fléau du terrorisme doit être combattu sous toutes ses formes et en tout lieu. C’est pourquoi nous condamnons également les attaques du PKK contre les forces de sécurité et de police turques, qui ont repris ces dernières semaines. A cet égard, la France soutient l’inscription du PKK sur la liste des organisations terroristes de I’Union européenne,

poursuit le courrier. Et c’est bien là que se trouve le problème. Disons le tout nettement : le PKK est considéré comme une organisation terroriste au seul motif qu’il livre une lutte armée dans un pays membre de l’Otan. C’est une appréciation purement politique, qui oublie de prendre en compte le fait que, depuis la reprise des combats à l’initiative de la Turquie – qui n’a jamais cessé les tirs d’artillerie contre les positions de ce parti dans le nord de l’Irak et les a bombardées par avion quelques jours avant la fin du cessez-le-feu – le PKK a exclusivement combattu les soldats et policiers turcs, tandis que ces derniers, dont le bilan est invérifiable et fantaisiste concernant le nombre de « terroristes » tués, ont, avec certitude, assassiné plusieurs dizaines de civils, dont de nombreux enfants, parfois très jeunes comme à Cizîrê. En d’autres temps, des forces d’occupation massacraient des civils tandis que certains luttaient contre elles. On les appelait “Résistants”. “Terroristes” était la terminologie des occupants et de leurs collaborateurs.

Appréciation politique également quand il s’agit de soutenir ou non un dictateur. Le soutien appuyé de la France à Erdoğan, qui vise à l’établissement en Turquie d’une dictature policière, religieuse et raciste, est difficilement acceptable à ce point, même au regard de considérations politiques, économiques et géo stratégiques dont nous n’ignorons pas la complexité.

Le Chef de l’Etat forme le vœu [que le processus de dialogue avec le PKK] puisse reprendre le plus rapidement possible, afin de couper court à toute escalade de la violence”.

Nous prenons acte mais cette prise de position est nettement insuffisante au regard de la situation. Pas un mot pour l’homme de la négociation, Abdullah Öcalan, leader charismatique des Kurdes, celui qui – ne l’a-t-il pas montré depuis deux ans ? – peut calmer les impatiences et fait taire les armes. Il est à nouveau bâillonné et mis au secret par ordre du président Erdoğan, qui le laisse croupir au fond de sa cellule. La reprise du dialogue passe par lui. C’est une évidence. Pas un mot de soutien non plus à l’adresse du HDP dont les efforts pour la paix mériteraient d’être reconnus et soutenus par la France. Pas un mot pour son courageux co-président, Selahattin Demirtas, qui a réussi à garder un cap politique clair. Il est vrai qu’il est devenu la bête noire du Sultan, qui a juré sa perte.

Le “moi ou le chaos” d’Erdoğan est devenu “moi et le chaos”

Le président Erdoğan entend poursuivre sa stratégie du pire avant les élections législatives du 1er novembre. Gare à ceux qui osent le critiquer, adversaires politiques, journalistes, caricaturistes.

Et l’Élysée n’en dit mot. Pourtant nul ne peut ignorer le climat de violence et de haine qui se propage à une vitesse effrayante à travers tout le pays. Des bandes d’individus des « Foyers ottomans », encadrés par des militants de l’AKP (parti du président) et coordonnés par le MIT (les services secrets aux mains du président), organisent de véritables pogroms. Les sièges locaux du HDP sont systématiquement attaqués, vandalisés, voire incendiés, avec la complicité passive de la police. Les habitations des militants ne sont pas épargnées. On compte des morts et de nombreux blessés. Pendant ce temps, des centaines de membres du HDP sont interpellés et mis en détention, dont une dizaine de maires. Il est difficile de donner des chiffres exacts tant la situation change de jour en jour. Aux dernières nouvelles, 8 co-maires (dont 5 femmes) ont déjà été destitués et des procédures administratives sont en cours visant un certain nombre d’autres dont Mme Gültan Kışanak, co-maire métropolitaine de Diyarbakir et présidente du GABB (Union des Municipalités du Sud-Est anatolien). Elle a dû d’ailleurs annuler une très importante tournée européenne, qui devait la conduire jusqu’à Rennes, au vu des événements se déroulant dans sa propre ville, comme dans nombre de villes du Kurdistan, où une véritable guérilla urbaine oppose une population en colère et déterminée aux forces armées qui tirent à vue sur tout ce qui bouge. Gültan Kışanak, en première ligne pour protéger ses concitoyens, est pessimiste sur l’issue du conflit :

il est fort à croire que les combats se développent. Tout dépend de la décision du gouvernement de mettre ou non de l’huile sur le feu. Mais comme le dialogue entre le gouvernement turc et le mouvement de libération du Kurdistan est stoppé, ce sont principalement les municipalités et les ONG qui prennent le relais pour tenter une médiation.

Diyarbakir n’est pas la seule ville assiégée. On ne pas compte pas moins de 139 “zones temporaires de sécurité” mises en place dans les provinces de Ağrı, Ardahan, Batman, Diyarbakir, Erzurum, Gaziantep, Hakkari, Kars, Kilis, Mardin, Osmaniye, Siirt, Urfa, Sirnak, Tunceli et Van, soumettant la population à un couvre-feu pouvant être levé et remis au gré du bon vouloir des autorités, ainsi qu’à de sévères blocus, comme à Cizîrê, où les habitants ont été contraints de rester confinés chez eux pendant plus de 9 jours, sans eau, sans électricité, sans téléphone, soumis aux tirs de snipers qui ont fait plus de 20 morts.

Le terrorisme d’Etat continue avec des arrestations tous azimuts de journalistes et le recrutement annoncé de 5 000 “protecteurs de villages” supplémentaires, force supplétive paramilitaire à qui sont confiées les basses besognes. Ils seront principalement chargés de “protéger” les bureaux de vote. Décidément rien n’est laissé au hasard pour permettre au Sultan de s’asseoir sur son trône.

André Métayer