La Turquie donne un petit avertissement à l’EI et en profite pour déclarer la guerre aux Kurdes

Le 20 juillet, un kamikaze, identifié comme membre du prétendu « Etat islamique » (EI), a déclenché sa bombe lors d’une conférence de presse des jeunesses socialistes à Suruç au Kurdistan-nord (Turquie), près de Kobanê, faisant 32 morts et une centaine de blessés. Cet attentat pose de multiples questions, le régime turc étant plus que complaisant depuis deux ans avec les djihadistes qui mettent la Syrie à feu et à sang.

La Turquie a déclaré la guerre aux Kurdes

Immédiatement après ce massacre, un mouvement de révolte a spontanément eu lieu partout en Turquie, violemment réprimé, faisant valoir le droit des Kurdes et des démocrates turcs à l’autodéfense face au régime islamiste turc de l’AKP, complice du djihadisme et dirigé par l’autocrate Recep Tayyip Erdoğan. Les HPG, branche armée du PKK, ont également déclenché des opérations de représailles, notamment l’exécution de deux policiers complices de l’EI à Ceylanpinar.

Dans le même temps, les USA ont continué à faire pression sur la Turquie pour qu’elle s’investisse dans la lutte contre l’EI. Ils ont enfin obtenu le droit d’utiliser les bases aériennes de l’OTAN pour des missions de bombardement contre l’EI et le front Al-Nosra (JAN) en Syrie. Vendredi 24, la Turquie a bombardé au mortier trois villages tenus par l’EI à la frontière syrienne et a déclenché des frappes aériennes sur trois cibles terroristes côté syrien, faisant suite à un accrochage frontalier – tombant à point nommé – où un soldat turc a été tué. Deux autres vagues de frappes limitées ont eu lieu depuis lors.

La nuit dernière, la Turquie a par contre déclenché sept opérations de bombardement aérien contre les camps et positions du HPG dans tout le nord de l’Irak (Zap, Amedi, Metina, Gare, Haftanin et Avashin) de 22h55 à 6h00, tuant, selon le bilan actuellement disponible, 4 guérilleros – dont un commandant – et blessant plusieurs soldats ainsi que des civils, dont un enfant de 12 ans. Des frappes aériennes contre les bases des HPG ont également eu lieu côté turc, ainsi que de nombreuses attaques terrestres, qui ont donné lieu à des contre-attaques des HPG (Lice, Semdinli, Bismil, Silvan). A cette heure (15h le 25/7) une nouvelle vague de bombardements a lieu, notamment dans le Qandil.

Selon Ahmed Davutoğlu, Premier ministre intérimaire du régime turc (le gouvernement turc n’est que provisoire, l’AKP ayant perdu la majorité absolue lors des élections du 7 juin dernier), le Président Barzani aurait donné son accord à ces frappes sur le territoire kurde autonome, mais M. Barzani le conteste et demande actuellement à la Turquie de faire cesser cette agression, appelant à la poursuite du processus de paix.

Ces attaques contre les bases des HPG compliquent l’appui aux combattants qui défendent, en coordination avec la Coalition internationale, Sinjar et les Yézidis contre l’EI. Elles pourraient être considérées comme un soutien tactique de facto à l’EI.

Le cessez-le feu en vigueur depuis 2013 entre la Turquie et les HPG est désormais caduc, ont déclaré ces derniers, réagissant à l’agression brutale qui marque la volonté d’Erdoğan de liquider militairement la rébellion.

Le PKK appelle à la mobilisation générale contre l’agression turque ainsi que les forces démocratiques à renforcer leur alliance et la lutte contre “le régime fasciste d’Erdoğan et celui des barbares de Daech”.

Une vague de répression massive contre les Kurdes

Vendredi 24, des centaines de militants kurdes ont été arrêtés partout en Turquie dans le cadre d’une opération policière massive. Ces attaques ont aussi ciblé la gauche démocratique et l’extrême-gauche turques. A Istanbul, une militante de gauche, Günay Özarslan, a été assassinée par la police (15 impacts de balles).

Parallèlement, seulement deux membres notoires de l’EI ont été arrêtés, ainsi que, selon les dires du régime, 35 militants étrangers. Le régime prend bien soin de faire systématiquement l’amalgame entre l’EI et les mouvements qu’elle considère comme « terroristes » (mouvance kurde et démocrates turcs), ce qui lui permet de justifier la répression antidémocratique – 260 arrestations, 1 exécution – comme étant liée à la « répression » – 37 arrestations – contre l’EI ! Cet amalgame est repris sans le moindre discernement par une certaine agence de presse.

Aujourd’hui-même, ce sont à nouveau des centaines d’arrestations de militants démocrates kurdes et turcs qui ont eu lieu partout dans le pays, notamment à Istanbul, Ankara, Adana, Konya et Manisa. Des organisations, comme les syndicats Eğitim-Sen et KESK, les associations alévies, ont été victimes de raids policiers. En tout, d’après Davutoğlu, ce sont 590 personnes qui auraient été arrêtées en deux jours (288 aujourd’hui). Il est impossible pour l’instant de connaître précisément le nombre de militants de gauche turcs et kurdes parmi les victimes de ces rafles, mais il semble qu’il soit au-dessus de 500 puisque les islamistes arrêtés seraient moins de 100.

Les Kurdes et les démocrates ne se laissent pas faire et des manifestations très violemment réprimées ont lieu partout au Kurdistan ainsi qu’à Istanbul, dégénérant souvent en émeutes avec barricades.

La liquidation de la liberté d’expression

La marche antidjihadiste prévue demain à Istanbul ayant été interdite ce matin par le préfet, les organisateurs, dont le HDP, ont préféré l’annuler de façon à éviter un bain de sang.

Bien connu pour sa politique de censure d’Internet et sa répression des journalistes, le régime a par ailleurs accompagné le déclenchement de la répression militaire et policière contre les Kurdes et les démocrates par l’interdiction des sites alternatifs d’information : Dicle News Agency, Firat News Agency, Hawar News Agency, Rojnews, Yüksekovahaber, Özgür Gündem, Sendika mais aussi les sites pro-KRG Rudaw et BasNews !

Un jeu très dangereux

Il est très clair que ces trois types d’attaque – militaire, policière et politique – contre la gauche démocratique en Turquie relèvent d’une tactique jusqu’au-boutiste d’Erdoğan, à qui le peuple a refusé le 7 juin de donner des pouvoirs illimités.

En attaquant en même temps la gauche, les Kurdes et l’EI, il espère manipuler la coalition internationale et profiter d’un léger paravent anti-djihadiste pour porter discrètement des coups violents aux Kurdes. Concentrer 90% de ses moyens militaires, policiers et politiques contre les Kurdes est cependant un peu trop voyant et, hormis les propagandistes habituels du régime, y compris en Europe, personne n’est et ne sera dupe de cette mascarade.

Erdoğan anticipe par avance l’échec des discussions pour former une coalition électorale entre l’AKP et un autre parti – qu’il organise au jour le jour par ses prises de position ubuesques – et déclenche pendant la période intérimaire le maximum de chaos, y compris une guerre, afin de parvenir aux élections anticipées en position de force. L’enjeu est bien pour lui de rallier l’électorat ultra-nationaliste du MHP. Pas sûr cependant que cela suffise et l’on peut craindre, lors de ce scrutin anticipé, une fraude massive et des violences organisées par le régime bien pires que celles du 7 juin, afin d’empêcher cette fois-ci le HDP de franchir la barre des 10%.

Ce n’est pas la première fois qu’Erdoğan utilise la stratégie de la tension. C’est un jeu très dangereux : aujourd’hui la question n’est plus de défaire les HPG dans les montagnes – ce qui n’a pas été possible pendant 40 ans et ne l’est toujours pas – mais bien de devoir assumer la colère et la frustration montantes d’une population turque et kurde urbaine, démocrate, désormais lassée d’un régime réactionnaire, autoritaire, corrompu et violent.