La Turquie ne veut pas d’une société démocratique

La Cour constitutionnelle turque a prononcé, ce 11 décembre 2009, la dissolution du “principal parti pro-kurde du pays”, le DTP (Parti pour une Société démocratique) qui avait été créé à la suite des partis HEP, OZDEP, DEP, HADEP successivement interdits en 1993, 1994 et 2003 et DEHAP dont le fonctionnement avait été bloqué.

Rappelons que ce parti avait réussi en 2007, malgré tous les obstacles administratifs, juridiques et judiciaires et en dépit de toutes les pressions politiques, policières et militaires, à envoyer 21 députés à la Grande Assemblée parlementaire de Turquie, au grand dam du parti islamo conservateur au pouvoir, l’AKP, et des partis nationalistes d’opposition d’extrême droite (MHP) et de “gauche” (CHP).

Mieux encore, lors des élections locales et régionales du 29 mars 2009, il devenait, en s’imposant à la tête d’une dizaine de régions et en doublant le nombre de “ses” municipalités, un interlocuteur incontournable en tant que parti politique représentatif des Kurdes : il remportait ce jour-là les élections dans une centaine d’agglomérations dont la ville métropolitaine de Diyarbakir (et ses 4 arrondissements) et 7 villes préfectures.

La répression ne s’était pas fait attendre : plus de 700 de ses responsables (cadres du parti, élus, anciens élus) ont été, au cours de cette année, jetés en prison, comme notre amie Gülcihan Şimşek, mairesse de Bostaniçi (de 2004 à 2009) au motif “d’appartenance à une organisation armée” ou “de soutien à une organisation terroriste“.

Dans le même temps le gouvernement AKP semblait vouloir faire une “ouverture démocratique” en faveur des Kurdes, mais à sa main, sans grande réelle portée et sans négociation avec le DPT auquel il reproche de refuser de qualifier le PKK d’organisation terroriste.

Engagé au milieu du gué, pour des motifs de politique extérieure (Union Européenne, Etats-Unis) et se refusant d’aller plus avant par manque de véritables convictions démocratiques, le gouvernement AKP de Recep Tayyip Erdogan devenait une cible pour son opposition largement représentée dans les corps constitués de l’Etat, comme l’armée, la police, la justice et la haute administration.

C’est ainsi que la Cour constitutionnelle, forte des pouvoirs que lui a conférés la Constitution de 1982, issue –ne l’oublions pas- du coup d’État militaire de 1980, a pu en toute légalité fomenter un coup d’Etat politique en prononçant la dissolution d’un parti légal au motif qu’il serait devenu un “foyer d’activités préjudiciables à l’indépendance de l’Etat et à son unité indivisible“.

La suite est écrite : les arrestations vont redoubler et toucher, en priorité, les députés, les maires, les avocats, les cadres et les militants du DTP ; les condamnations vont pleuvoir, la démocratie locale va être durement affectée ; les combats vont s’intensifier.

Il faut s’attendre aussi à une radicalisation de la rue avec des manifestants de plus en plus jeunes et de plus en plus déterminés : “des pierres contre des fusils”, ce n’est pas du cinéma.

André Métayer