Le Kurdistan dans tous ces Etats : Turquie, Irak, Syrie, Iran

Le Kurdistan historique ou zone de peuplement kurde s’étend sur environ 550 000 km² mais reste dispersé entre principalement quatre pays voisins : la Turquie au Nord, la Syrie à l’Ouest, l’Irak au Sud et l’Iran à l’Est. La population kurde y est estimée à plus de 40 millions d’habitants.

Eyyup Doru, représentant en Europe du HDP (Parti démocratique des Peuples), invité des Amitiés kurdes de Bretagne, a situé, devant les adhérents réunis en assemblée générale, les enjeux qui se jouent aujourd’hui dans cette partie du monde au travers de l’histoire tragique des Kurdes.

Hommage à Jalal Talabani

En préambule, Eyyup Doru a rendu hommage à Jalal Talabani, décédé le 3 octobre à Berlin à l’âge de 83 ans. Né en 1933, Jalal Talabani adhère à 14 ans au PDK, Parti démocratique du Kurdistan, principal mouvement national kurde, dirigé par le Général Barzani. En désaccord avec celui-ci, il crée en 1975 l’UPK, l’Union patriotique du Kurdistan et deviendra en 2005, à la faveur du renversement de Saddam Hussein, le premier Président non arabe de la République d’Irak.

Concernant la situation dans les différentes parties du Kurdistan, Eyyup Doru, rappelle que la situation est compliquée en raisons des enjeux régionaux et internationaux.

Des affrontements quotidiens au Kurdistan de Turquie

Au Kurdistan de Turquie (Bakûr) des affrontements opposent quotidiennement les combattants du PKK et les différentes forces de répression sur le terrain – armée, gendarmerie, korucus (gardiens de villages) – avec des morts des deux côtés. L’arrestation des acteurs politiques du HDP et de son environnement proche se poursuit : entre 7 000 et 9 000 détenus à ce jour, auquel il faut ajouter toutes les personnes incarcérées pour appartenance au PKK. La quasi-totalité des maires kurdes du HDP/DBP ont été destitués et emprisonnés ainsi que quelques députés dont les co-présidents du parti HDP, Selahattin Demirtaş et Figen Yüksekdağ. Les députés condamnés perdent leur statut de député. Trois d’entre eux sont exilés en Europe. Aujourd’hui, la Turquie est sous le contrôle d’un seul homme : Erdoğan, élu avec à peine 51% des voix et malgré les fraudes avérées, portant sur au moins 2 millions de voix qui auraient dû être invalidées. Toutes les villes importantes de Turquie comme Istanbul (dont Erdoğan fut le maire), Ankara, Izmir, ont voté contre Erdoğan. Dans les villes kurdes, il a été rejeté à plus de 70%.

Des élections libres du Kurdistan de Syrie en janvier 2018

Pour ce qui est du Kurdistan de Syrie (Rojava), Eyyup Doru insiste sur le fait que, pour la première fois dans l’histoire de ce pays, des élections libres sont inscrites à son agenda. Elles se dérouleront les 18 et 19 janvier 2018 :

aujourd’hui la région est gérée sur le principe du confédéralisme démocratique, fondé sur la participation des différentes communautés ethniques et religieuses : kurdes, arabes, chrétiens… avec l’objectif de l’étendre à l’assemble de la Syrie. Des négociations seraient possibles entre les Forces démocratiques syriennes (kurdo-arabes – FDS) et Bachar al Assad pour la mise en place d’un tel système, mais la République islamique d’Iran, au centre de tous les complots menés dans la région par l’intermédiaire de groupes radicaux chiites, s’y oppose, car elle veut créer un axe chiite qui se prolongerait jusqu’à la Méditerranée. Malgré l’embargo qu’elle subit, la région du Rojava s’en sort quand même économiquement tout en maintenant sa participation sur différents fronts militaires contre Daech, tant à Raqqa [libérée le 19/10/2017] qu’à Deir ez Zor, qui devrait prochainement être libérée. Le canton d’Afrin reste sous pression de la Turquie qui, depuis plusieurs mois, menace de l’envahir mais ce canton, peuplé principalement de Kurdes très militants, est prêt à s’opposer vigoureusement. Les ardeurs bellicistes turques sont aussi freinées par la présence de bases russes dans ce canton.

Référendum d’autodétermination au Kurdistan d’Irak

Au Kurdistan d’Irak (Başûr) malgré l’opposition de certains partis politiques, un référendum d’autodétermination a été organisé le 24 septembre 2017. Le « oui » a rassemblé 92,73% des voix. Le HDP a soutenu ce référendum au nom du droit à un peuple de se prononcer sur son avenir. Eyyup Doru apporte cette précision :

ce référendum est à l’initiative d’un seul homme, Massoud Barzani, chef du PDK et toujours Président de la région autonome du Kurdistan d’Irak, bien que son mandat soit terminé depuis 2 ans. C’est M. Barzani, qui dit ne pas vouloir se représenter pour un nouveau mandat, qui a désigné les membres de la commission électorale chargée d’organiser le référendum, passant outre les prérogatives d’un Parlement empêché de se réunir depuis deux ans. Pour le HDP, les décisions doivent être prises par le Parlement. La communauté internationale était aussi opposée à ce référendum, sauf la Russie qui reconnait le droit à l’autodétermination. Le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian l’a qualifié d’inopportun. Mais les réactions les plus vives sont venues des pays limitrophes : Irak, Turquie, Iran, toujours prompts à trouver un terrain d’entente lorsqu’il s’agit de s’opposer aux Kurdes et les sanctions ne se sont pas fait attendre. L’Iran a fermé sa frontière avec le Başûr et l’Irak a fait interdire les aéroports d’Erbil et de Suleymanié aux passagers des vols internationaux, les vols intérieurs restant toutefois possibles. De son côté, la Turquie menace également de fermer ses frontières avec le Başûr et d’empêcher la sortie du pétrole, principale ressource financière pour la région autonome du Kurdistan.

“A ce jour, la Turquie n’a pas mis ses menaces à exécutions,” précise Eyyup Doru. Il est vrai que ce pays est le principal bénéficiaire des échanges commerciaux avec le Başûr et la famille d’Erdoğan un des principaux acteurs de ce commerce. La Turquie ne devrait donc pas attaquer et, de son côté, Massoud Barzani ne devrait pas proclamer l’indépendance mais négocier avec le gouvernement central de Bagdad.

Situation tendue au Kurdistan d’Iran

La population kurde d’Iran, estimée à plus de 10 millions de personnes, est particulièrement présente dans le nord-ouest du pays, un territoire qu’elle appelle le Rojhilat. La détermination des Kurdes du Rojhilat pour obtenir une reconnaissance de leurs droits est aussi forte que celle de leurs frères dans les autres parties du Kurdistan. Comme en Irak, en Syrie et en Turquie, ils combattent le régime en place depuis plusieurs décennies, plus précisément depuis la révolution islamique de 1979. Chaque année, des exécutions ont lieu sous différents prétextes comme l’opposition à la loi religieuse ou l’accusation de trahison. Eyyup Doru apporte quelques précisions sur la situation actuelle :

au Rojhilat la situation est également tendue. Des manifestations, malgré la répression sanglante, ont eu lieu dans de nombreuses villes kurdes après le référendum au Başûr. Le PJAK, Parti pour une vie libre au Kurdistan, mène depuis 2004 une rébellion armée contre le pouvoir central et milite pour un système politique basé sur le confédéralisme démocratique. Fait nouveau : le Parti démocratique du Kurdistan d’Iran a décidé de reprendre les armes après une interruption de plusieurs décennies.

Des combattants et des combattantes du PJAK sont aussi présents aux côtés de leurs frères d’armes kurdes pour lutter contre les djihadistes du prétendu Etat islamique.

Michel Le Hir
André Métayer