Malgré la répression, la mobilisation kurde ne faiblit pas : des milliers de manifestants à Istanbul et à Diyarbakir

“Nous promettons une guerre totale aux Kurdes” a déclaré le chef du parti AKP, premier ministre d’un pays dont 20 % de la population est kurde. Pour arriver à ses fins, le pouvoir islamiste musèle la presse – 70 journalistes sont sous les verrous – et s’en prend à tous les responsables kurdes associatifs et politiques. Les partis turcs qui s’étaient alliés au BDP pour faire élire, aux dernières élections législatives, les candidats indépendant” du Bloc Travail, Démocratie et Liberté, ne sont pas non plus épargnés. D’après Hamit Bozarslan, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, près de 8 000 personnes ont été arrêtées depuis 2009 pour des faits d’exercice de la liberté d’expression :

En cela, la Turquie d’Erdogan révèle son vrai visage, celui d’un pouvoir qui a de moins en moins à envier au régime des généraux des années 1980. Rien à voir en tout cas avec la démocratie islamique tant vantée ces dernières semaines

(Le Monde, 11/11/2011). Plus de 4 500 membres du BDP sont actuellement en détention provisoire (certains depuis avril 2009) dont 18 maires sur 99 et six députés sur 35. Les enfants ne sont pas non plus épargnés.

La mobilisation de la rue ne faiblit pas

A l’appel du BDP, des milliers de manifestants s’étaient déjà réunis la semaine dernière à Istanbul, à la suite des arrestations de journalistes, d’avocats, d’universitaires et de cadres de partis politiques. Plus impressionnante encore est la mobilisation du 3 décembre à Diyarbakir. Au coude à coude défilent les militants du BDP mais aussi ceux d’autres partis du Bloc (HAKPAR, KADEP, EMEP…) et toute la société civile et politique rassemblée dans le DTK (Congrès pour une Société démocratique) qui se présente comme une plateforme regroupant des personnalités et des organisations humanitaires, culturelles, politiques kurdes dont le BDP. Selahattin Demirtaş, Député, Président du groupe BDP au Parlement de Turquie, a harangué la foule : “Nous sommes tous KCK”, en écho au chef d’accusation lancé contre tous les détenus poursuivis pour « appartenance au KCK » (Union des communautés kurdes, qualifiée de “branche urbaine du PKK”). La foule a répondu en kurde : « nous sommes présents, » rappelant en cela les seuls mots qu’ont pu prononcer en kurde les 151 élus inculpés au moment de l’appel des prévenus, avant que leur procès ne soit ajourné. Parmi les autres slogans, on a pu lire et entendre : “le PKK est le peuple et le peuple est présent”. Le maire métropolitain de Diyarbakir, Osman Baydemir, a également pris la parole pour demander de ne pas répondre à la violence par la violence : “le sang ne peut laver le sang”.

Reprise du procès des “151”

Le procès de “151” présumés coupables (rappelons qu’il s’agit de 151 maires, anciens maires, élus locaux, députés, cadres du BDP, présidents d’associations, tous militants pour la Paix et la Démocratie, accusés d’être membres d’une organisation prétendue “terroriste”) avait tenu sa 1ère séance devant la 6ème Cour d’assises de Diyarbakir le 18 octobre 2010. Il avait été ajourné le 26 avril dernier par la Cour qui refusait aux prévenus et à leurs avocats de s’exprimer dans leur langue maternelle. Le procès doit reprendre le 6 décembre et il ne semble pas qu’un compromis ait été trouvé : on s’achemine donc vers un nouveau bras de fer.

Grève de la faim dans les prisons turques

La mobilisation gagne aussi les prisons : les 8 000 détenus condamnés à de lourdes peines pour appartenance au PKK et au parti kurde iranien PJAK (Parti pour une Vie libre au Kurdistan) ont décidé d’entamer une grève de la faim illimitée pour protester contre leurs conditions carcérales “inhumaines et dégradantes” et contre celles imposées au plus illustre d’entre eux : Abdullah Öcalan. Ils dénoncent également le “régime colonialiste et raciste turc qui s’en prend à un peuple civil et non armé”.

André Métayer