Un été meurtrier au scénario imprévisible

Ahmet Türk

L’abricotier planté il y a deux ans à Hasankeyf[[Un barrage sur le Tigre devait engloutir le site archéologique d’Hasankeyf ; en mars 2008, une délégation d’AKB a participé à une manifestation regroupant élus locaux, population et organisations démocratiques au cours de laquelle furent plantés des abricotiers. Devant l’ampleur des protestations nationales et internationales, la Turquie a abandonné le projet.]], qui était tout en fleur au printemps 2010, laissait perler un espoir de paix malgré les turbulences annoncées.

L’été 2010 fut en effet l’un des étés les plus meurtriers depuis une décennie, causant une, voire plusieurs centaines de morts dans les deux camps, lors de combats, embuscades et ratissages qui se sont déroulés sur le territoire de la Turquie, principalement dans la région du Kurdistan.

Après les déclarations Abdullah Öcalan constatant, depuis sa prison d’Imrali, l’inanité des offres répétées de dialogue, le PKK avait rompu le cessez-le-feu, décrété unilatéralement, et repris les hostilités.

Le coût humain est très lourd, beaucoup plus lourd que les bombardements des camps du PKK abrités dans les monts Qandil, au Kurdistan irakien[[L’inefficacité relative des drones israéliens Heron a d’ailleurs soulevé une polémique soupçonneuse au sein même de l’armée turque qui, par ailleurs, travaille à la mise au point de son propre avion d’observation sans pilote (Anka) ; autrement redoutable est le drone américain MQ-1 Predator qui, armé de missile, est utilisé au Pakistan et en Afghanistan ; son l’utilisation contre les Kurdes n’est pas à l’ordre du jour.]], au point qu’il souleva une très forte tension ; des affrontements sanglants opposèrent Kurdes et Turcs, notamment dans des villes où les Kurdes sont minoritaires (comme à Dörtyöl – municipalité d’extrême droite MHP – dans la province d’Hatay, au fond de la baie d’Iskenderun, ou, à l’opposé, près de la Mer Noire à Inegöl – municipalité islamiste AKP – dans la province de Bursa). Le journal turc Hürriyet cite un habitant d’Inegöl : “j’ai eu l’impression d’un retour à la fin des années 70, à la veille du coup d’état militaire du 12 septembre 1980”.

Et Hamit Bozarslan, Directeur d’études à l’École des Hautes Etudes en Sciences Sociales, de déclarer à France 24, le 17 août dernier, qu’il constate une radicalisation des rapports turco-kurdes, une exclusion systémique des Kurdes malgré une reconnaissance de fait, et une politisation massive de la jeunesse kurde qui, pourtant, n’était pas encore née lors de la naissance du PKK.

La trêve

La trêve annoncée par Abdullah Öcalan, qui montre une fois encore que son autorité est intacte, n’est pas à proprement une surprise ; elle est la réponse kurde à de nombreuses pressions régionales, nationales et internationales qui se sont exercées sur les deux parties : le ramadan, qui va se terminer le 10 septembre, est une heureuse coïncidence ; la trêve décidée pour une période de 37 jours (14 août – 20 septembre) pourrait se prolonger à quatre conditions :

-Bilatéralité du cessez-le-feu ;
-Libération des détenus politiques ;
-Abaissement du seuil des “10”%[[İl faut, pour qu’il soit représenté au parlement turc, que chaque parti franchisse, lors d’élections législatives nationales, la barre des 10% dans un scrutin proportionnel à un tour.]] ;
-Transfert d’A. Öcalan de la prison insalubre d’Imrali dans une résidence surveillée.

Le président de la République turque, Abdullah Gül, a immédiatement réagi dans la soirée du 13 août en déclarant, bien évidemment, que la Turquie continuerait sa lutte contre le terrorisme, refusant toute tractation avec le groupe armé kurde.

Pour autant les tractations secrètes entre Ankara et Imrali n’ont jamais cessé et le gouvernement turc a besoin des voix kurdes pour gagner le référendum portant sur la réforme constitutionnelle qu’il organise le 12 septembre prochain ; les sondages mettent le “oui” et le “non” au coude à coude, et le BDP, parti pro kurde, prône pour l’instant l’abstention, au motif qu’il ne veut pas soutenir une réforme constitutionnelle qui n’a retenu aucune de ses revendications, mais il ne veut pas, non plus, mêler ses voix à l’opposition nationaliste turque.

La clef : le Congrès pour une société démocratique (DTK)

Ahmet Türk
Ahmet Türk
C’est dire qu’il est attendu le discours que le Premier Ministre Erdogan doit prononcer le 3 septembre à Diyarbakir : il n’est pas impossible, dans ce contexte particulièrement délicat et complexe, qu’il fasse des ouvertures concrètes et que les cartes soient rebattues.

Il trouvera au premier rang de ses auditeurs deux “tricards” de la politique revenus au devant de la scène : il s’agit d’Ahmet Türk et d’Aysel Tugluk, tous les deux députés et co-présidents du DPT avant que ce parti ne soit interdit par la Cour constitutionnelle et qu’ils ne soient eux-mêmes déchus de leur mandat et bannis de la vie politique pour cinq ans.

Ahmet Türk et Aysel Tugluk viennent en effet d’être élus triomphalement co-président et co-présidente du Congrès pour une société démocratique (DTK) à l’issue de sa 4° convention qui s’est achevée le 8 août dernier.

Le Congrès pour une société démocratique (DTK) est une assemblée qui rassemble tous les élus issus des rangs du Parti pour la Paix et la Démocratie, le BDP (successeur de DTP) – c’est-à-dire les députés, les maires, les conseillers municipaux et provinciaux – mais aussi des présidents d’organisations civiles ou religieuses, des journalistes, des écrivains etc.

Aysel Tugluk
Aysel Tugluk
Après 4 jours de débat, le DTK a élu une Assemblée permanente de 101 membres dont des personnalités éminentes comme Osman Baydemir, maire métropolitain de Diyarbakir, qui réclame plus d’autonomie pour les collectivités locales, ou Hatip Dicle, ex-député de DEP, compagnon d’infortune de Leyla Zana – et de nouveau détenu – ou encore l’écrivain Faik Bulut et le journaliste Altan Tan.

Officiellement c’est une simple organisation mais, pour les Kurdes, c’est le Parlement kurde du Kurdistan de Turquie[[à ne pas confondre avec le Congrès national du Kurdistan (KNK) – dont le siège est à Bruxelles – qui rassemble 28 partis politiques et autres organisations du mouvement social et politique des Kurdistan d’Irak, d’Iran de Syrie et de Turquie.]]. La représentation kurde, dans toutes ses composantes, est en ordre de bataille et est prête à ouvrir des négociations pour trouver une issue au conflit qui sera respectueuse des droits et obligations de chacun.

Dans sa déclaration finale, le DTK demande la libération de tous les hommes et de toutes les femmes politiques, de tous les militants et de toutes les militantes emprisonnés : “La détention de plus de 1 500 hommes politiques kurdes est un massacre politique” a déclaré Ahmet Turk qui estime que les amendements constitutionnels ne sont pas suffisants pour des solutions durables : “la question kurde est, par essence, une question constitutionnelle ; par conséquent, une solution constitutionnelle doit être trouvée à la question kurde”.

André Métayer

Rennes le 21 août 2010