Coopération franco-turque en matière de sécurité et de défense : une politique hypocrite, sans vision d’avenir

Établi à la fin de l’année 2014 par Bernard Cazeneuve, alors ministre de l’intérieur, et son homologue turc, et renforcé depuis, un nouveau dispositif permet l’échange constant d’informations dans la lutte contre l’État islamique. En contrepartie de l’aide d’Ankara, peu motivée malgré le transit permanent des djihadistes sur son sol, la France a oublié l’assassinat à Paris de trois militantes kurdes.

Une enquête menée par Jacques Massey, journaliste, spécialiste des questions de sécurité et de défense et publiée par Mediapart fait apparaitre que les plus hautes autorités françaises, comme les différents services placés sous leurs ordres, sont littéralement paralysées par la terreur que les djihadistes de l’Etat islamique leur inspirent à la pensée qu’ils sont capables de fomenter sur notre territoire nombre d’attentats kamikazes insupportables pour la population et ravageurs pour leur avenir politique. “Charlie hebdo” et le “Bataclan” ont laissé des traces. Dans ce contexte, la priorité n’a pas été de demander des comptes aux commanditaires du triple assassinat du “147” mais d’obtenir d’eux un “renforcement du cadre stratégique de coopération en matière de sécurité et de défense”. Oubliées ces paroles de Manuel Valls (“La procédure ira à son terme”) prononcées au lendemain du crime et répétées le 13 janvier 2014, à Rennes.

Une coopération moralement condamnable et politiquement insoutenable

Les résultats en matière de lutte antiterroriste seraient au rendez-vous d’après Jean-Pierre Raffarin, membre de la délégation parlementaire au renseignement. Donc tout va bien. Ce n’est évidemment pas l’avis de Selahattin Demirtas, coprésident du HDP, aujourd’hui détenu dans la prison de haute sécurité de type F à Edirne (située à la frontière bulgare à 1 600 km de Diyarbakir) qui a déclaré, lors d’un passage à Paris :

le meurtre de nos trois camarades a donné aux services français un moyen de pression sur la Turquie : ils ont laissé ce dossier dans l’ombre en échange de contreparties sécuritaires. C’est une politique hypocrite et sans avenir.

En fait, dans ce jeu pas drôle du tout, les deux comparses se tiennent par la barbichette et la Turquie fait payer au prix fort l’aide qu’elle octroie parcimonieusement dans la lutte antiterroriste en réclamant toujours plus de son partenaire, la France, qui, poings et mains liés, est contrainte de laisser agir à sa guise le dictateur Erdoğan décidé à pousser encore plus loin son avantage. L’ambassadeur de France à Ankara n’en fait pas mystère, lui qui a déclaré le 25 janvier dernier, devant le Sénat :

les Turcs sont très engagés dans la coopération sur les “revenants” (les djihadistes qui tentent de rentrer au pays) mais ils nous rappellent régulièrement que, s’ils nous aident contre Daech, ils attendent aussi qu’on les aide davantage pour lutter contre le PKK en Europe.

Faut-il craindre, comme l’écrit encore Jacques Massey, que les autorités turques exigent de la France ” qu’elle expulse à son tour des militants kurdes, assimilés par le régime à des terroristes sans s’embarrasser des subtilités du droit européen”? Nous serons vigilants.

En adoptant dimanche 16 avril, par référendum, une réforme constitutionnelle qui confère d’immenses pouvoirs à son président Erdoğan, la Turquie s’enfonce un peu plus dans cette politique contraire aux valeurs républicaines que nous défendons : liberté, égalité, fraternité.

Nous attendons de la France une autre politique

Rappelons ici que la Coordination nationale Solidarité Kurdistan (CNSK) a posé aux candidat·e·s à la présidentielle 11 questions, quelques-unes ayant trait à la coopération franco-turque en matière de sécurité et de défense :
• La France prendra-t-elle des mesures pour faire cesser sur son sol les activités des services spéciaux turcs? des réseaux islamistes dépendant de l’AKP ? et ceux liés à l’organisation criminelle d’extrême-droite turque des “Loups gris”?
• Cherchera-t-elle à établir la vérité sur le ou les commanditaires de l’assassinat des militantes kurdes Sakine Cansiz, Leyla Saylemez et Fidan Dogan, le 9 janvier 2013 à Paris ?
• Prendra-t-elle des mesures pour protéger sur son sol les opposants au président Erdoğan ?
• Prendra-t-elle des sanctions diplomatiques et économiques contre ce régime dictatorial ?

André Métayer