Diyarbakir : le projet “T’as pas vu mon quartier” se poursuit

Les deux photographes des Amitiés Kurdes de Bretagne, Gaël Le Ny et François Legeait, sont retournés à Diyarbakir fin avril pour une seconde session d’ateliers avec les enfants de Ben u Sen. Ce sont cette fois une petite vingtaine de jeunes de 11 à 14 ans – en majorité des filles – qui ont photographié ce quartier emblématique, promis à une réhabilitation prochaine, bénéficiant de l’expérience professionnelle et pédagogique de ces deux passionnés de la photo en tant que moyen de communication.

Gaël Le Ny, photographe indépendant, est enseignant dans une école de photographie à Rennes. Il réalise depuis 10 ans des reportages sur le Kurdistan qui l’ont conduit jusqu’au Mont Qandil en Irak, à la rencontre les forces combattantes du PKK ; il est aussi auteur de “Karapinar” (2003) sur la communauté kurde de Rennes.

François Legeait, également photographe indépendant, auteur de plusieurs ouvrages aux Editions de Juillet, dont “Askarkids, un atelier photo en Palestine” (2010), et “Amok, un atelier photo au Cambodge” (2011), intervient régulièrement en milieu scolaire

Lors de cette dernière rencontre, les leçons se tenaient à la maison du soutien scolaire de la mairie d’arrondissement de Yénisehir. Celle-ci a en outre organisé, début mai, une exposition des meilleures photos réalisées lors de la précédente session, en octobre 2012. Certaines de ces images ont été vues à Rennes en mars dernier à l’occasion du salon Rue des Livres, à Maurepas.

Alors François, comment s’est passée concrètement cette seconde session d’ateliers?

Nous avons été reçus dès notre arrivée à la mairie de Yénisehir, et le lendemain nous rencontrions les enfants dans les locaux du soutien scolaire. Nous avons eu le plaisir de retrouver quelques-uns des “élèves” de la première session, ainsi que certains des encadrants. De toute évidence notre premier atelier avait laissé un bon souvenir à tous, depuis Mme le maire d’arrondissement jusqu’aux enfants. Rançon du succès, nous avions à peine assez d’appareils pour tout le monde !

Cette seconde session a été très (trop) courte, mais en seulement cinq jours les enfants ont à nouveau réalisé une très belle moisson d’images. La sélection finale a d’ailleurs été difficile à effectuer, tant la qualité générale était élevée. C’est en les soumettant au vote des enfants que nous les avons finalement départagées.

Les enfants ont-ils “accroché” d’emblée ? Quels ont été leurs centres d’intérêt?

Entre l’enthousiasme des nouveaux et l’expérience des “anciens”, le groupe a été tout de suite opérationnel. Il faut dire que nous ne nous sommes pas appesantis sur la technique photographique, toujours un peu fastidieuse pour les enfants. Nous avons développé les notions de cadrage et de composition pour privilégier l’expressivité des images.

L’élément humain est au centre des préoccupations des enfants, et leurs photos sont “habitées” par la communauté. Ils aiment leur quartier, au point d’oublier d’en montrer aussi les aspects les moins reluisants. Aussi avons-nous basé la prise de vue sur trois axes : le graphisme, et notamment les couleurs, les manifestations de l’identité kurde dans le quartier, et la précarité du bâti et des infrastructures.

Peut-on faire une comparaison entre les ateliers photos que tu as animés en Palestine, au Cambodge et celui de Diyarbakir ?

Je trouve beaucoup de similitudes entre cet atelier et ceux que j’ai animés en Palestine de 2009 à 2011. Le quartier de Ben U Sen me fait d’ailleurs sans cesse penser au camp de réfugiés d’Askar, à Naplouse. Au-delà du délabrement et de la stigmatisation du territoire, les enfants y ont des comportements et sans doute des expériences comparables. A Ben U Sen comme à Askar, ils vivent dans leur chair et dans leur tête un conflit violent qui les conditionne, et qui donne son sens à notre travail. En les faisant photographier leur quotidien, nous les amenons à s’interroger sur leur vécu et à prendre la parole.

L’objectif est-t-il atteint?

L’objectif est en passe d’être atteint : la parole des enfants est entendue et reconnue, leurs photos ont déjà été exposées à Diyarbakir et à Rennes, et ce n’est qu’un début. Leur travail constitue en outre un véritable témoignage de ce qu’est aujourd’hui Ben U Sen, un quartier qui, dans un avenir proche, aura totalement changé de visage.
Gaël et moi allons d’ailleurs suivre le projet de réhabilitation, et continuer à photographier le quartier et ses habitants.

Les deux photographes prévoient déjà un nouveau séjour sur place à l’automne, avec deux objectifs ambitieux : la venue à Rennes d’enfants de Ben U Sen, soutenue et encouragée par O. Baydemir, maire de Diyarbakir, et la publication d’un livre retraçant toute cette aventure.

André Métayer

Photo : F. Legeait