Élections en Turquie : le coup d’État permanent d’un président dictateur

Le pire scénario est arrivé : le parti au pouvoir, l’AKP et ses alliés d’extrême droite détiennent la majorité des sièges de députés à la « Grande Assemblée » (Parlement de Turquie) et le président RT Erdoğan a été réélu à l’issue d’un 2° tour qui donne encore plus l’illusion sur la sincérité du scrutin. Qu’importe si la campagne électorale est jugée inéquitable par les observateurs de l’OSCE. C’était écrit : Erdoğan ne pouvait pas perdre, surtout pas dans le cadre de règles démocratiques dont le respect est le moindre de ses soucis, surtout pas quand la conjoncture économique et les sondages le donnaient perdant. Et ce, malgré le tremblement de terre qui a causé la mort de plus de 50 000 personnes, fait près de deux millions de sans-abri, mettant en lumière la responsabilité du chef de l’Etat et de l’AKP qui « ont créé progressivement les conditions de la catastrophe, pendant vingt années de politique urbanistique désastreuse, de négligence, de corruption, de clientélisme, de népotisme et de stratégies électoralistes » (Le Monde 21 février 2023).

Le coup d’Etat d’Erdoğan

Mais tout était prévu depuis 2016, depuis le soi-disant « coup d’Etat » du 15 juillet au sujet duquel on peut se poser beaucoup de questions tant il est évident qu’il est arrivé à point nommé pour permettre à Erdoğan de mettre en place son vrai coup d’Etat à lui, bien planifié, bien structuré pour durer : élimination des partis et candidats qui peuvent lui faire de l’ombre, contrôle quasi généralisé des médias, mainmise politique sur les tribunaux, l’armée, la police, sans oublier le Haut-Comité électoral (YSK) qui organise les élections. Sans omettre non plus la modification de la constitution, faite à son profit le 16 avril 2017.

Aujourd’hui des milliers de détenus politiques, notamment kurdes, croupissent en prison au motif fallacieux d’appartenance à une organisation terroriste, qu’ils soient élus ou cadres de partis politiques, qu’ils soient militaires, combattants, universitaires, enseignants, étudiants, avocats, journalistes, syndicalistes, cadres de santé, médecins, animateurs socio-culturels, artistes… Mais tout ce dispositif politico-judiciaire et répressif à outrance n’aurait pas suffi si Erdoğan n’avait pas su incarner un des principes fondateurs du kémalisme (« heureux celui qui se dit turc »), le nationalisme, en y ajoutant le prosélytisme religieux : « le bonheur de se proclamer musulman », comme l’écrit Olivier Bouquet, dans une tribune du Monde le 23 mai 2023.

Face à Erdoğan, la résistance du peuple kurde se poursuivra.

Le peuple kurde, son histoire millénaire est là pour en témoigner, a toujours résisté à l’oppression, quitte à se réfugier à la montagne pour revenir plus fort et revendiquer ses droits culturels et politiques. Le Conseil démocratique kurde en France (CDK-F), porte-parole pour la cause kurde en France, lance un appel pour résister ensemble :

Nous tenons à affirmer haut et fort que la résistance kurde ne faiblira pas. Nous ne serons pas réduits au silence. Nous ne serons pas effacés. Nous continuerons à nous battre pour nos droits fondamentaux, pour notre survie et pour notre liberté. Il est essentiel que la communauté internationale prenne conscience des menaces que pose le nouveau régime turc extrémiste et salafiste à la démocratie, à la liberté, à la stabilité régionale et internationale, et aux droits fondamentaux des peuples de la région. Nous appelons l’opinion publique française, les partis politiques, les organisations associatives et syndicales à se joindre à notre résistance, à soutenir notre lutte pour la justice et la démocratie, et à condamner la répression du peuple kurde en Turquie et dans les autres parties du Kurdistan.

Le peuple kurde a toujours lutté pour défendre ses droits, y compris les armes à main. Mais la lutte armée, nécessaire, légitime, n’est pas une fin en soi. L’objectif est la paix. Ça passe nécessairement par des négociations entre belligérants, mais c’est aux forces politiques, sociales, économiques, culturelles, d’en préparer le contenu. Elles existent, à commencer par tous ces hommes et toutes ces femmes embastillés qui font de ces lieux de détention la plus grande université de Turquie. Pour que cette paix soit « une paix juste et durable », il faudra que les deux parties acceptent de faire des concessions et de réduire les antagonismes résiduels, ceux qui n’auraient pas trouvé de solutions amiables et qui risquent de faire rebondir le conflit. La pression internationale, dont celle de la France, doit exiger l’ouverture immédiate de négociations, sous l’égide de médiateurs acceptés par les deux parties. La pression doit être puissante, continue sur un dictateur fourbe et rusé qui ne connait que les rapports de force. La France doit réviser sa politique. La libération de tous les détenus politiques doit être une des priorités. Les vrais amis des Kurdes agiront aussi dans ce sens.

André Métayer