Erdogan souffle le chaud et le froid

Le Parti pour la Paix et la Démocratie (BDP) a réaffirmé sa volonté de tout faire pour mettre fin aux combats meurtriers en se prononçant pour un cessez le feu bilatéral et une reprise des négociations entre belligérants : “les deux parties doivent, pour créer un terrain propice aux discussions, enlever sans conditions préalables le doigt de la gâchette” déclarait Selahattin Demirtas, co-président du parti pro kurde.

A la veille du congrès du parti islamo conservateur AKP, le Premier Ministre RT Erdogan, président de ce parti depuis sa fondation en 2001, lui a indirectement répondu en déclarant sur une chaine de télévision turque que de nouvelles négociations étaient possibles entre l’État turc et la PKK : “si ça doit être à Oslo, alors ça sera à Oslo”, faisant référence aux négociations entre les deux parties dans la capitale norvégienne, brutalement interrompues en 2009 après le succès éclatant du BDP en élections locales et régionales dans les provinces à majorité kurde. Mais RT Erdogan n’a pas confirmé à la tribune du congrès ses déclarations.

Il faut dire que la situation est plutôt compliquée pour l’homme à la double casquette, au moment où il souhaite garder la haute main sur le parti majoritaire pour mieux préparer sa candidature à l’élection présidentielle à l’horizon 2014. Il n’est en effet un secret pour personne que cet homme de pouvoir sans partage brigue cette fonction dans le cadre d’une nouvelle constitution aux pouvoirs renforcés pour le futur président qui devrait être élu au suffrage universel. C’est ce qu’il a développé, lors du congrès AKP à Ankara, au cours d’un discours fleuve dont on retiendra surtout qu’il entend garder le pouvoir jusqu’en 2023.

L’arrêt d’un conflit présente des avantages

L’enlisement du conflit kurde, une conjoncture économique incertaine, pourraient contrarier les ambitions présidentielles de RT Erdogan qui, en toute logique, devrait donc être amené à ouvrir la voie de la paix, d’autant plus que la réorganisation des forces armées turques est à l’ordre du jour : la mort accidentelle de 25 soldats dans une garnison turque et les pertes entraînées par le conflit avec le PKK auraient, d’après le journal Zaman, proche du pouvoir, ré-ouvert le débat sur l’opportunité de professionnaliser l’armée en Turquie : “les forces armées ne parviennent pas à se hisser au niveau des performances enregistrées dans l’industrie de l’armement” disent les experts de Zaman qui évaluent, d’autre part, le coût d’un soldat professionnel à cinq fois, voire dix fois celui d’un appelé. L’arrêt d’un conflit aurait donc comme vertu l’alléger la charge.

Il y aurait urgence à décider, d’autant plus que les pertes en hommes n’ont jamais été aussi lourdes : 144 membres des forces de sécurité et 239 rebelles du PKK auraient été tués depuis le début de l’année en Turquie, d’après les déclarations du Premier ministre. Le PKK, quant à lui, chiffre ses propres pertes à 290 combattants et celles de l’armée turque à 1 913 militaires et supplétifs, auxquels s’ajoutent 69 policiers, pour une période d’un an à compter du 1er septembre 2011. Les régions kurdes de Hakkari, de Sirnak et, en partie, de Bingöl et du Dersim (Tunceli) sont, depuis le 23 juillet 2012, malgré la couverture aérienne et la technologie satellitaire américaine, sous contrôle des HPG (forces combattantes du PKK). Les forces armées turques qui ne peuvent circuler qu’en convois blindés sont l’objet d’attaques ciblées. Des vidéos circulent sur le net montrant les restes de drones (avion d’observation sans pilote) abattus par la guérilla. Une guerre de “moyenne intensité” perdure. Il y a donc urgence à ouvrir de vraies négociations, à Oslo ou ailleurs.

Le discours martial d’un chef de clan

Devant ses troupes réunies en congrès, le Premier ministre a tenu un discours martial, se votant des auto-satisfecits et des brevets de démocratie, tout en interdisant, comme le note le journaliste d’Hürriyet, l’entrée à six journaux d’opposition. Une attitude de chef de clan, pas celle d’un futur homme d’État : “assez, c’est assez” a-t-il ponctué autoritairement. Un appel à ses “frères kurdes” pour qu’ils se détournent du terrorisme en échange de vagues promesses concernant des droits linguistiques. Il n’a pas répété les propositions qui pouvaient laisser entendre qu’une trêve serait possible, bien au contraire : il a annoncé une intensification de la guerre avec le PKK et a appelé le CHP, parti kémaliste aujourd’hui dans l’opposition, à s’unir “pour lutter contre le terrorisme” en ajoutant : “la question kurde ne peut être résolue par ceux qui embrassent les terroristes. elle le sera par ceux qui aiment leur pays.” C’est évidemment le BDP qui était visé, et notamment la délégation de députés qui s’était rendue à Semdinli (région d’Hakkari) et s’était portée à la rencontre des combattants du PKK.

Dans le même temps, l’armée turque déploie canons et missiles anti-aériens à proximité de la frontière syrienne.

André Métayer