François Hollande, “attentif aux préoccupations de la Coordination nationale Solidarité Kurdistan”, doit maintenant passer aux actes

Dans une lettre adressée le 22 janvier dernier à François Hollande, Président de la République, Joël Dutto demandait, au nom de la Coordination Nationale “Solidarité Kurdistan” (CNSK) regroupant 15 organisations régionales et nationales et au nom de la Fédération des Associations kurdes de France (FEYKA) regroupant une vingtaine d’associations kurdes, que les questions de la démocratie, du respect des droits humains puissent être l’un des volets des entretiens prévus avec les plus hautes autorités de Turquie devant le recevoir, en tant que chef d’Etat, les 27 et 28 janvier suivants. Il rappelait que des milliers de prisonniers politiques croupissent depuis des années dans les prisons turques, députés, maires, élus locaux et régionaux, avocats, journalistes, enseignants, étudiants, responsables associatifs, des femmes et même des enfants. Il lui aussi demandait de ne pas ignorer la volonté du peuple kurde à vivre dans le respect de son identité. Il lui posait enfin la question de la coopération policière et judiciaire entre les deux pays à propos de l’instruction ouverte sur les assassinats à Paris le 9 janvier 2013 des trois militantes de la cause kurde.

La réponse du président de la République

La prompte réponse du Président de la République, venue dès 11 février sous la plume de son Chef de cabinet, est un signal positif et les termes employés laissent à penser que la plus haute autorité de l’Etat n’est pas restée insensible au courrier de la CNSK et de la FEYKA, à la manifestation parisienne qui l’a précédée et aux différents appels en direction du Premier Ministre, des ministres de l’Intérieur, de la Justice et des Droits des Femmes : Monsieur François HOLLANDE m’a confié le soin de vous répondre et de vous assurer de toute l’attention portée aux préoccupations que vous exprimez.

Tout en saluant le processus de négociation dans lequel les autorités turques se sont engagées sur la question kurde, la France reste particulièrement vigilante au respect des normes les plus élevées en matière de démocratie et de droits de l’Homme en Turquie.

De nombreux efforts doivent encore être déployés, ainsi que le relève la Commission européenne dans son l’apport de suivi sur la Turquie publié le 16 octobre 2013, pour le renforcement des libertés et la consolidation de l’Etat de droit, au bénéfice de l’ensemble des citoyens quelle que soit leur origine ethnique ou religieuse.

Soyez assuré que la France continuera à demander que la Turquie clarifie sa législation afin de protéger plus efficacement les libertés d’expression et d’association, mises en cause dans les cas que vous évoquez.

S’agissant par ailleurs de l’assassinat des trois militantes kurdes à Paris en janvier 2013 une enquête est, comme vous le savez, en cours. Elle a permis d’obtenir de premiers résultats.

Nous savons que les entretiens entre chefs d’Etat gardent toujours un caractère confidentiel et sont parfois très éloignés des effets de manches sur les estrades et des accolades en public. Nous savons aussi que les questions des droits de l’homme et de la liberté d’expression sont toujours évoquées comme une variable dans une négociation où les questions géostratégiques et les intérêts économiques sont les termes principaux. Chacun s’évertue donc à décrypter les messages, toujours distillés en termes très diplomatiques. Celui du Chef de cabinet de la présidence de la République n’échappe pas à la règle, notamment quand il s’agit de l’assassinat de Sakine, Rojbîn et Leyla, commis sur le sol français le 9 janvier 2013. Personne n’ignore que de forts soupçons pèsent sur l’Etat turc quand il s’agit d’en désigner les commanditaires. D’après Taraf, journal turc d’opposition, le dossier aurait “été remis au goût du jour par François Hollande à l’occasion de sa visite en Turquie”.

Nous attendons des gestes significatifs

Comme Manuel Valls, comme Christiane Taubira, comme François Hollande, nous respectons l’indépendance de la Justice qui doit être la règle dans un Etat de droit et ne doutons pas de la pugnacité des magistrats chargés de l’enquête, comme le souligne Mme la Ministre de la Justice, mais nous savons, nous aussi, que la commission rogatoire internationale lancée par ces mêmes magistrats piétine face aux atermoiements de la justice turque de plus en plus corsetée par le gouvernement turc, qui vient encore d’alourdir la législation en faisant voter par le Parlement samedi 15 février la réforme judiciaire destinée à renforcer son emprise sur les magistrats. “Alors que l’ombre d’Ankara plane sur ces assassinats, les autorités turques semblent rechigner à collaborer avec les autorités chargées de l’enquête de police et le parquet en charge de l’instruction”, constate Sergio Coronado, député européen Europe-Ecologie-Les-Verts (EELV) qui se demande pourquoi les autorités françaises n’ont toujours pas reçu officiellement les familles des victimes.

Nous avons déjà, à plusieurs reprises, manifesté notre impatience. Cette politique qui consiste à se retrancher derrière l’indépendance de la justice n’est plus tenable alors que des rumeurs font état d’éventuelles complicités des services secrets français dans cette affaire. Ce courrier de la présidence de la République doit être suivi de gestes concrets et significatifs. Comme nous l’avons déjà écrit, les familles des victimes et leurs amis attendent du Président de la République un geste de compassion qui les aiderait à surmonter leur peine. En les recevant à l’Elysée, le Président de la République enverrait aussi, diplomatiquement, un signal en direction des assassins et de leurs commanditaires.

André Métayer