Fureur d’Erdoğan après le fiasco de l’opération « Garê » : 870 arrestations dans les rangs du HDP, accusé de “complicité terroriste”

Treize Turcs exécutés par des rebelles kurdes en Irak, selon Ankara. (Le Figaro 14/02/21).

L’armée turque a tué des soldats turcs faits prisonniers par la guérilla kurde du PKK. (Rojinfo 14/02/21)

L’armée turque a attaqué ce campement militaire du PKK avec plus de 45 avions de combat F16. Elle a bombardé massivement le lieu où se trouvaient les prisonniers de guerre qui, bien évidemment ont été tués, ainsi que les combattants du PKK qui les gardaient. (Correspondance personnelle du 14/02/21)

Treize Turcs tués dans une grotte en Irak : Ankara furieuse contre Washington. (Le Progrès 15/02/21).

Le commandement des HPG a déclaré que le camp avait été intensivement bombardé le 10 février, précisant que les bombardements avaient été suivis d’une attaque au sol. De toute évidence, l’attaque n’avait pas pour but de libérer les prisonniers de guerre, mais de les éliminer. (Rojinfo 15/02/21)

Le ministère de l’intérieur turc a annoncé l’arrestation de 718 personnes, dont les dirigeants du parti pro-kurde HDP, soupçonnées de lien avec le PKK qu’Ankara accuse d’avoir exécuté 13 Turcs en Irak. (La Croix (avec AFP), 15/02/21).

Turquie : vent de colère après une action anti-PKK en Irak : une opération militaire turque dans le nord de l’Irak, qui a fait 13 victimes vendredi, vire à la bataille politique entre le clan du président Erdoğan et l’opposition. (Libération 18/02/21).

L’opération, destinée à récupérer treize Turcs détenus dans l’un de ses repaires par la guérilla du PKK, s’est soldée par un bain de sang. Le pouvoir turc tente de maquiller son échec. (Ouest France 18/02/21)

La Turquie n’a pas reçu le soutien voulu de ses alliés de l’OTAN contre les menaces à sa sécurité internationale, a déclaré jeudi le directeur des communications de la Turquie. La position antiturque constante des États-Unis, notre soi-disant allié, en ce qui concerne notre lutte contre les entités terroristes comme le PKK / YPG et le FETO, est extrêmement blessante. (TRT – chaîne d’Etat turque – 18/02/21).

Dépité par le fiasco meurtrier d’une vaste opération militaire turque au Kurdistan, le ministre turc de l’intérieur promet de capturer et de dépecer en mille morceaux un dirigeant du PKK. (Institut kurde de Paris 18/02/21).

Quel était l’objectif de l’opération « Garê » ?

RT Erdoğan avait claironné un peu imprudemment qu’il serait en mesure d’annoncer bientôt une “bonne nouvelle” et, le 10 février la Turquie lançait une vaste opération militaire dans la zone du Mont Garê, situé au nord du Kurdistan irakien, une région tenue par les combattants du PKK, à une cinquantaine de kilomètres de Dohuk et une centaine de Zakho. Des gros moyens furent engagés : une quarantaine d’avions de combat, plusieurs dizaines d’hélicoptères, des drones, des commandos aéroportés. L’objectif était de capturer des dirigeants du PKK signalés dans cette zone et de libérer 13 militaires et agents des services secrets (MIT) détenus par le PKK. Défaillance des services de renseignement turcs ou efficacité des agents secrets kurdes ? Quoi qu’il en soit, les dirigeants du PKK n’étaient pas au rendez-vous et l’opération militaire, mal préparée ou trouvant une résistance armée sous-estimée, tourna au fiasco. Croyant avoir localisé les chefs de la guérilla dans la grotte où se trouvaient les prisonniers, les commandos, après un bombardement intensif, enfumèrent les occupants et donnèrent l’assaut. Ils trouvèrent dans la grotte les cadavres des prisonniers et de leurs gardiens. Connaîtra-t-on un jour le nombre de soldats turcs et de combattants kurdes tués ou blessés au combat ? Le bilan est sans doute lourd, obligeant RT Erdoğan à mettre fin à l’opération et l’armée à battre en retraite.

Maquillage politique et coups tordus

Erdoğan est adepte des coups tordus qui consiste à faire endosser par l’adversaire un méfait voulu, permis ou couvert. Ce fut le cas, par exemple, avec le mitraillage d’un minibus sur la commune de Beytüşebap (province de Şirnak), immédiatement attribué aux “terroristes” du PKK. N’a-t-il pas essayé de faire croire que l’assassinat des trois militantes kurdes à Paris par ses propres services était un règlement de comptes au sein du PKK ?

Plus que la défaite militaire, l’onde de choc politique menaçait un Erdoğan devant rétablir à tout prix sa crédibilité internationale et sa popularité mise à mal à l’intérieur de son propre pays. Il n’a alors pas hésité à faire tirer des balles dans la tête de ces morts pour étayer la thèse d’une exécution sommaire par les “terroristes” du PKK. Les corps ont été rapatriés en Turquie, promptement inhumés, non sans un rapport d’autopsie certifiant que les victimes portaient des marques de balles tirées à bout portant.

Les déclarations de la Turquie ont été accueillies par Washington et certains pays européens avec une prudence inhabituelle, à la grande fureur d’Erdoğan, voyant s’échapper le succès diplomatique espéré. La grave accusation d’exécution “d’otages” aurait dû engendrer une émotion et une réaction d’indignation. Ce fut au contraire un scepticisme à peine voilé engendrant une tiédeur de la part des pays “amis” ou “alliés”. Même l’AFP a déclaré “ne pas être en mesure de vérifier indépendamment toutes ces affirmations (d’exécution d’otages)”.

Ces lourdes pertes risquent de provoquer une flambée de tensions avec le gouvernement irakien, qu’Ankara accuse de mollesse face à la rébellion kurde, et avec les Etats-Unis, auxquels la Turquie reproche d’appuyer des groupes liés au PKK en Syrie,

souligne la dépêche de l’AFP, reprise par différents journaux français, en omettant, toutefois, de noter que la Turquie intervient dans un pays étranger en violation du droit international.

Erdoğan démasqué

Loin des déclarations diplomatiques lénifiantes et convenues, faites pour calmer les protestations furibondes d’Erdoğan, qui reste un interlocuteur “ami”, des arguments circulent en off.

Le PKK n’a jamais maltraité ni exécuté ses prisonniers. Le Tribunal permanent des Peuples note que le PKK adhère aux conventions de Genève de 1949 et respecte le droit international humanitaire.

Près de 350 militaires et policiers ont été faits prisonniers par le PKK. A l’exception de ces 13 derniers, ils ont tous été libérés sains et saufs, sans aucune contrepartie, grâce à la médiation des ONG et des représentants politiques locaux,

précise l’Institut kurde de Paris. Pourquoi l’autopsie a été faite en catimini sans contrôle international ? Pourquoi aucune suite n’a été donnée à la demande d’enquête parlementaire formulée expressément par le HDP ? Pourquoi a-t-on enterré les corps précipitamment sans attendre une commission d’enquête indépendante ? Ces assassinats n’arrivent-il pas fort à propos pour laisser le champ libre à la stratégie d’occupation d’Erdoğan et à sa politique d’expansionnisme néo-ottomane visant non seulement le nord et l’est de la Syrie mais aussi l’Irak, notamment la région yézidie de Sinjar ?

Répression à grande échelle contre le HDP

Dans un communiqué publié dès le 12 février, Feleknas Uca et Hişyar Özsoy, co-porte-paroles du HDP pour les affaires étrangères, dénoncent les opérations menées par l’alliance nationaliste AKP-MHP pour intimider et réprimer le HDP. On dénombre déjà 870 arrestations :

des attaques systématiques contre les membres du HDP, les administrateurs et ceux qui réclament la liberté, la paix et la justice ont lieu presque tous les jours. Dans un communiqué publié par le ministère de l’Intérieur de la Turquie, il a été annoncé que 718 personnes, dont des présidents de province et de district du HDP, ont été mis en détention dans le cadre des opérations antiterroristes menées dans 40 provinces depuis le 12 février. Pour masquer ses faiblesses et ses craintes, le bloc ultra-nationaliste de l’AKP / MHP recourt à des méthodes fascistes, employant des politiques d’intimidation, de détentions et d’attaques contre des étudiants, des journalistes, des militants et d’autres institutions et individus représentant la politique démocratique, en particulier la politique du HDP. Le HDP est de plus en plus engagé dans sa lutte politique pour un avenir libre, démocratique et pacifique pour la Turquie.

RojInfo signale également qu’un procureur d’Ankara a ouvert une enquête contre deux députés du HDP, Hüda Kaya et Ömer Faruk Gergerlioğlu, accusés d’avoir violé les dispositions du code pénal sur la “turcité” en ayant dénoncé la campagne de désinformation lancée par le gouvernement turc sur l’invasion de Gara et le décès des prisonniers.

Appel du KNK

Le Conseil exécutif du Congrès national du Kurdistan (KNK) appelle les Nations-Unies, l’UE, le Conseil de l’Europe, les États-Unis et l’OTAN à forcer l’État turc à se conformer au droit international et l’obliger à mettre en œuvre les recommandations du Conseil de l’Europe et du Comité européen pour la prévention de la torture (CPT), ainsi qu’à lever l’isolement imposé à Abdullah Öcalan, afin de « fournir l’opportunité d’un dialogue politique visant à instaurer la paix en Turquie et dans l’ensemble de la région. » Enfin, le KNK appelle la communauté internationale à « exiger le retrait inconditionnel et immédiat de toutes les forces turques du sud du Kurdistan et du nord et de l’est de la Syrie. »

André Métayer