Libération de Filiz Buluttekin : une bonne nouvelle, mais nous attendons la suite

La 4e Haute Cour pénale de Diyarbakır, lors de son audience du 29 septembre dernier, a décidé de remettre en liberté conditionnelle Filiz Buluttekin, co-maire destituée de la municipalité de Sur (arrondissement de la vieille ville de Diyarbakir), décision assortie d’une interdiction de quitter le territoire. Filiz Buluttekin, membre du Congrès des femmes libres (Kongreya Jinên Azad, KJA), coprésidente de l’antenne provinciale du HDP à Diyarbakir, avait été élue co-maire du district de Sur lors des élections municipales de mars 2019, avant d’être destituée 6 mois plus tard, le 21 septembre 2019, poursuivie pour « appartenance à une organisation terroriste ». Mise en détention provisoire, elle fut jugée et condamnée le 19 février 2021 à 7 ans et 6 mois de prison, peine qu’elle purgeait à la prison fermée pour femmes de type E d’Erzurum. Cemal Özdemir, élu co-maire de Sur en même temps que Filiz Buluttekin, fut lui aussi destitué et est toujours détenu à la prison fermée pour hommes d’Erzurum.

Nous avons appris à aimer Sur, ce centre historique de la ville de Diyarbakır

Nous avons appris à aimer Sur. Maintes délégations des AKB ont sillonné ses ruelles, visité ses monuments, acheté ses kilims, rencontré sa population, ses militants, sur les marchés, dans les souks, autour d’un « çay ». Un des prédécesseurs de Filiz Buluttekin, Abdullah Demirbaş, maire élu en 2004, destitué en 2007, réélu en 2009, avait été reçu en 2012 par la ville de Rennes et avait lui-même reçu à plusieurs reprises nos délégations dans sa mairie d’arrondissement de Diyarbakir. Cette ville fortifiée cache en son sein plus de 600 monuments classés par l’UNESCO, ou plutôt cachait car aujourd’hui ce quartier est défiguré depuis l’effroyable blocus de 2015/2016  qui a coûté la vie à plus de 100 civils. Les tirs d’artillerie sur les différents quartiers du district ont par ailleurs entraîné la destruction d’une grande partie des habitations et du patrimoine historique et provoqué le départ forcé de dizaines de milliers d’habitants. Feleknas Uca, députée de Diyarbakir, le 24 mars 2016 :

en détruisant Sur, ils ont détruit le patrimoine des minorités de Turquie et donc le patrimoine de l’Humanité : ils veulent construire un nouveau Sur, un Sur turc.

Gaël et François, deux de nos intrépides photographes présents à Diyarbakir en février 2016, forcèrent les barrages, pénétrèrent dans Sur assiégé et purent revenir avec un témoignage exceptionnel sur ce drame humain doublé d’un génocide culturel se déroulant sous leurs yeux.

Une décision de justice hautement politique

Il est difficile d’imaginer qu’une décision d’un tribunal de Turquie, aux ordres du pouvoir comme tous les tribunaux de ce pays, puisse ne pas être politique. Il est donc légitime qu’on se pose la question de la signification de la libération de Filiz Buluttekin. C’est une décision prise au moment où le monarque turc, le président RT Erdoğan, joue les gros bras sur la scène internationale. D’un côté il refuse de ratifier la demande d’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’OTAN (sur 30 membres, seuls, deux États membres, dont la Turquie, bloquent encore l’accord) et d’un autre il rejette la décision russe d’annexer les régions de Donetsk, Lougansk, Kherson et Zaporijjia. Il a l’outrecuidance de reprocher à son ami Poutine une grave violation des principes du droit international alors qu’il les bafoue par ailleurs en bombardant des Etats voisins souverains comme l’Irak et la Syrie et en brandissant la menace d’une nouvelle offensive au nord de la Syrie. Il se permet de faire pression sur les Etats-Unis qui rechignent encore à lui livrer les avions de combat F16 dont il a besoin dans le conflit qui l’oppose à la Grèce (à ce sujet, il n’est pas inutile de rappeler la position de la France qui, affirme la ministre des Affaires étrangères, viendra en aide à la Grèce en cas d’attaque).

Il faut donc chercher ailleurs la raison de la décision de la 4e Haute Cour pénale de Diyarbakır. Peut-être faut-il chercher du côté des échéances électorales qui se profilent à l’horizon 2023 alors que la popularité d’Erdoğan et celle de son parti AKP sont au plus bas dans les sondages et que l’économie du pays est en mauvaise posture ?

Recep Tayyip Erdoğan est un colosse aux pieds d’argile. Le temps de la négociation pour une paix juste et durable est-il de retour ? On voudrait le croire.

André Métayer