YSP/HDP, même combat !

« La Turquie ne peut pas être démocratisée sans résoudre la question kurde et la question kurde ne peut pas être résolue sans démocratiser la Turquie. » C’est avec cette formule choc que Tayip Temel, co-vice-président du Parti démocratique des Peuples (HDP) présente la politique du HDP, un HDP en pleine mutation qui maintient le cap qu’il s’est fixé malgré le revers subi lors des dernières élections. Tayip Temel, né à Hakkari, fut, avant d’être député de Van (2018-2023), journaliste, rédacteur en chef du journal de langue kurde Azadiya Welat et de la télévision Özgür Gün. Il connut aussi la prison durant quatre ans, après avoir été arrêté dans l’affaire du KCK, dont le procès eut lieu en 2012. Depuis sa prison de Diyarbakir, il entreprit, en tant que journaliste, une grève de la faim qui dura 68 jours. Il recommença en 2019 en tant que député : « mettre fin à l’autoritarisme et démocratiser la Turquie, » tel est l’objectif que poursuit Tayip Temel.

Le HDP, Parti démocratique des Peuples

Rappelons que le HDP, Parti démocratique des Peuples (le pluriel est important) est né en Turquie, le 27 octobre 2013, avec comme objectif de rapprocher les forces pro-kurdes et celles de la gauche turque. Lors de son congrès fondateur, où l’esprit des protestations de Gezi était présent, coprésidé par Ertuğru Kürkçü, député de Mersin, un des rescapés des luttes révolutionnaires des années 70, et par Sebahat Tuncel, députée d’Istanbul, « kurde, alévie, féministe, socialiste » engagée politiquement depuis 1998, (venue à Rennes en 2009), les congressistes avaient défini les principaux thèmes du programme : gouvernance territoriale, autonomie démocratique, éducation dans la langue maternelle, liberté de croyance, droits pour les alévis, liberté pour les prisonniers politiques, non à l’exploitation capitaliste, oui à l’écologie, non aux interventions impérialistes en Syrie, encouragement aux Kurdes de Syrie, non aux mesures discriminatoires contre les homosexuels. Il recevait un message d’Abdullah Öcalan, saluant cet événement comme étant dans la droite ligne de la lutte révolutionnaire du PKK qui a puisé son inspiration dans des mouvements de la gauche turque. Le HDP prenait la suite du BDP, (Parti de la paix et de la démocratie) l’un de ses partis fondateurs, qui devenait le « Parti démocratique des régions ». Le BDP avait été créé en 2009, à la suite de la dissolution par la Cour Constitutionnelle de Turquie, en date du 11 décembre 2009, du Congrès pour une Société démocratique (DTK), puni pour avoir remporté un grand succès aux élections locales du 29 mars 2009. Malgré la répression qui ne date pas d’hier, le parti kurde, sans cesse en mouvement, sans cesse interdit, sans cesse renaissant, continue la lutte au sein d’une nouvelle formation dont il assure le leadership, le Parti de la gauche verte : YSP (Yeşil Sol Parti).

Les élections législatives et présidentielle de mai 2023

Malgré une campagne catastrophique, le YSP et le TIP (Parti des travailleurs de Turquie) ont limité les dégâts et obtenu, à ces élections législatives de mai 2023, dans le cadre de « l’Alliance du travail et de la liberté », 65 députés : 61 députés YSP et 4 députés TIP (contre 64 députés HDP et 2 députés TIP, lors des élections de 2018) franchissant la barre des dix pour cent (10,55%). C’est évidemment loin des résultats espérés : la conjoncture économique et les sondages donnaient RT Erdoğan perdant. Et le tremblement de terre, qui a causé la mort de plus de 50 000 personnes et fait près de deux millions de sans-abri, mettait en lumière la responsabilité du chef de l’Etat et de l’AKP au cours de ces « vingt années de politique urbanistique désastreuse, de négligence, de corruption, de clientélisme, de népotisme » (Le Monde). C’était sans compter sur un scénario préparé par Erdoğan depuis le putsch manqué de 2016 : un dispositif politico-judiciaire et répressif à outrance qui a muselé toute opposition et c’est dans l’urgence que le HDP, menacé de dissolution, s’est effacé au profit du YSP (avec lequel la collaboration n’était pas nouvelle) et a imaginé cette alliance « Alliance du travail et de la liberté » regroupant six partis de gauche. L’union fut difficile et le temps a manqué pour discuter, pour expliquer, par exemple, que le confédéralisme ne mettait en danger l’unité du pays, que la laïcité garantissait la liberté religieuse, et pour finir le calendrier électoral a pris le pas sur les débats de fond. La position du TİP de présenter ses propres candidats et de refuser une liste unique au sein de l’alliance a semé le trouble. « En créant une concurrence dans certaines circonscriptions, le TIP a fait perdre à « l’Alliance du travail et de la liberté » 10 à 15 postes de députés » constate avec regret Faruk Doru, le représentant du HDP en Europe. L’objectif de créer une large alliance démocratique contre « l’Alliance du Peuple » (autour du parti d’Erdoğan, l’AKP) et contre « l’Alliance de la Nation » (autour du CHP, parti kémaliste), n’a pas été atteint. N’a pas été comprise non plus par tous la position du HDP demandant aux électeurs, pour barrer la route au président sortant Erdoğan, de voter pour Kemal Kılıçdaroğlu, le leader du CHP, un parti social-démocrate, laïc mais nationaliste, créé en 1923 par Atatürk. Cette décision fut critiquée mais, comme le dit Tayip Temel, « Si nous avions présenté un candidat et qu’Erdoğan avait été élu au premier tour, le HDP aurait été le seul bouc émissaire ». La solution aurait été de pouvoir présenter un candidat capable de rassembler largement la population sur des objectifs démocratiques pour tous. Le YSP qui prend la suite de HDP y travaille déjà.

Le YSP, Parti de la gauche verte (Yeşil Sol Parti) vers une nouvelle vie

Le YSP, créé le 25 novembre 2012, avait soutenu en 2014 la candidature de Selahattin Demirtaş à l’élection présidentielle. Il avait également soutenu le Parti démocratique des peuples (HDP) aux élections législatives de 2015. Et, tout naturellement, en 2023, pour palier préventivement à la menace de dissolution (qui plane toujours sur le HDP), Selahattin Demirtaş proposa que tous les candidats du groupe parlementaire du HDP se présentent aux élections législatives de 2023 sous la bannière du YSP. La situation à laquelle il doit faire face, aujourd’hui, est celle sortie des urnes, même si le résultat est sujet à caution à bien des égards : Erdoğan est réélu pour un troisième mandat et son Alliance du Peuple obtient la majorité parlementaire. Le résultat ? Ariane Bonzon avait prévu ce pire scénario :

Ce serait la poursuite de la situation actuelle, avec un risque d’accentuation de l’autoritarisme. Son positionnement islamo-nationaliste serait renforcé du fait de la présence dans l’alliance, aux côtés de l’AKP et du MHP (extrême droite ultra-nationaliste minée par la mafia), du Nouveau Parti du bien-être (YRP, islam politique), du Parti de la cause libre (Huda-Par, islamiste kurde) et du Parti de la grande unité (BBP, extrême droite islamo-nationaliste), trois petites formations radicales qui feront inévitablement pencher la balance à l’extrême droite islamiste, anti-occidentale et nationaliste.

L’enjeu est colossal pour le YSP, hier petit parti marginal qui se définissait lui-même comme un parti vert avec des idées libérales de gauche. Le voici propulsé au-devant de la scène, avec son groupe de députés majoritairement issus du HDP face aux enjeux démocratiques à défendre dans les espaces qui restent à préserver et à conquérir que sont les villes et les régions. Déjà se profile une échéance capitale en 2024 : les élections locales et régionales. Interrogé à ce sujet, Faruk Doru, confirme :

Gagner les élections locales et régionales

Ces élections sont un enjeu capital. Les villes dirigées par le HDP sont un modèle de démocratie, il faut les conserver, il faut retrouver celles dont les maires HDP ont été injustement destitués et remplacés par des administrateurs à la botte d’Erdoğan, il faut aussi en gagner de nouvelles, c’est possible. Les élections régionales sont aussi importantes. Il faut donc s’y préparer dès maintenant. Et pour cela le YSP doit se structurer. Il va tenir son congrès le 24 septembre prochain avec, à l’ordre du jour, la modification des statuts, un changement de nom plus conforme à sa nouvelle dimension et l’élection des membres de sa direction dont la composition doit être représentative. le HDP, toujours sous la menace d’une dissolution, se met en retrait, mais apporte toute son expérience pour que ce nouveau parti, dans lequel il se fond, réussisse sa mue et porte haut et fort l’objectif affiché : démocratiser la Turquie et résoudre la question kurde. C’est une politique réaliste. Il faut qu’elle soit comprise et soutenue sur le plan international. En tant que représentant du HDP en Europe je lance un appel à la France et à l’Union européenne.


André Métayer