Nouvelles de la prison d’Elazığ : pudeur, dignité, volonté de vivre, mais aussi une immense tristesse et un appel

Le contact est maintenu avec la prison d’Elazığ. C’est Hülya Alokmen Uyanik, co-maire destituée de Diyarbakir qui a succédé à Gültan Kışanak, elle-même destituée et détenue depuis 2016 dans la prison de haute sécurité de Kandira (Kocaeli dans la province de Marmara, au nord-ouest de la Turquie) qui, cette fois-ci, prend la plume pour donner des nouvelles de ses amies, codétenues. Nous connaissons déjà Necmiye, Dilan, Emine, Remziye, Songül et bien sûr Leyla : nous leur avons ouvert nos pages depuis plusieurs années. Viennent s’ajouter Besna, Fatos, Sidar et Güneş. Les mots sont simples mais ils révèlent des situations hallucinantes, des condamnations invraisemblables, des états de santé qui se dégradent, des vexations inutiles, des sanctions disciplinaires, des lieux de détention éloignés des lieux de résidence des familles, des séparations insupportables, surtout quand il s’agit de mères séparées de leurs jeunes enfants.

Besna Erol

Notre camarade Besna, âgée de 60 ans, est comme notre mère en prison. L’un de ses fils a perdu la vie dans l’attentat de Suruç en juillet 2015. Ses deux autres fils ont été emprisonnés à plusieurs reprises. Elle est emprisonnée depuis avril 2019 pour avoir lu une déclaration sur la tombe de son fils. Elle souffre de plusieurs maladies. Elle a une sorte de nodule au niveau de sa tyroïde. Elle a été amenée à l’hôpital pour faire des examens et nous espérons de tout cœur qu’elle n’ait rien de sérieux. Deux de ses filles sont atteintes d’une incapacité physique. Ses petits enfants sont nés pendant l’incarcération de Besna et elle n’a pu les voir que pendant les visites en parloir. Malgré toutes les difficultés, elle continue à être la source de notre joie.

Besna et son mari

Fatoş Demirhan

Fatoş Demirhan, une jeune mère, était emprisonnée en même que temps que Besna à Muş. Elles ont été transférées ensemble à notre prison. Elle a un fils qui a grandi avec elle jusqu’à l’âge de six ans, puis a été confié à son père qui est âgé, handicapé et qui vit chez ses parents. La peine privative de liberté de Fatoş vient de terminer et nous espérons qu’elle sera libérée au mois de mars prochain.

Fatoş et son fils

Sidar Varlu

Sidar Varlu a été arrêté à Nusaybin lorsqu’elle était âgée de 16 ans. Condamnée dans un premier temps à une peine privative de liberté de 30 ans, qui sera réduite à 20 ans par décision de la Cour de cassation. Elle est emprisonnée depuis 2016. Incarcérée en premier lieu à la prison de Sincan (Ankara), elle se trouve actuellement à la prison d’Elazig. Elle n’a pas bénéficier de droit de visite jusqu’à présent en raison des mesures disciplinaires qui ont été prises à son encontre. Ce n’est qu’au mois de décembre qu’elle n’a finalement pu voir sa famille au parloir.

Güneş Akan

Nous avons une autre camarade, Güneş Akan, en provenance d’une prison d’Istanbul, qui est restée temporairement avec nous avant d’être présentée à un procès ici. Originaire de Van, elle est toute jeune. Son procès doit durer à peu près un mois. Une fois le procès terminé, elle retournera à la prison d’Istanbul.

Hülya nous donne aussi des nouvelles des amies que nous continuons à soutenir.

Necmiye Boz

Necmiye Boz a 45 ans et est originaire de la ville de Muş. Elle a été condamnée à 8 ans et 3 mois de prison pour son militantisme féministe à Muş. Elle a de sérieux problèmes dentaires puisqu’elle a perdu ses dents lors des grèves de la faim. Nous attendons qu’elle soit traitée rapidement bien que le temps d’attente soit long en raison de la bureaucratie qui fonctionne au rythme de la tortue.

Dilan Aydin

Dilan Aydin, 29 ans, originaire de Muş. Elle a terminé ses études au sein de deux universités différentes. Elle a été condamnée à 7 ans et six mois d’emprisonnement pour ses activités politiques en milieu universitaire. Elle a fait l’objet de nombreuses sanctions disciplinaires pour avoir dénoncé les pratiques injustes subies par les détenu·es. Elle ne pourra en conséquence pas bénéficier d’une libération conditionnelle. Elle s’est initiée à la flûte traversière.

Dilan, Fatos et Hülya

Emine Erkan

Emine Erkan, originaire de la ville de Sirnak, a 25 ans. Elle donnait des cours de chant kurde au sein de différentes associations. Elle est emprisonnée depuis l’âge de 18 ans. Elle a été condamnée à six ans de prison, auxquels ont été ajoutés ses peines avec sursis. Nous attendons qu’elle soit libérée en décembre 2024. Elle nous distrait souvent avec du saz. Emine et Dilan jouent ensemble de la flûte traversière. Son recueil de poésies vient d’être publié. Sa famille demeurant à Sirnak lui rend visite au parloir à une certaine fréquence et selon leur possibilité, vu la distance qui les sépare.

Remziye Yaşar

Remziye Yaşar, que vous connaissez personnellement, est condamnée à 17 ans de prison. Elle a déposé un recours auprès de la Cour de cassation. Elle est poursuivie pour différents chefs concernant son bref mandat (4 mois). Sa famille est originaire de Yüksekova (Hakkari), donc très loin d’elle. Sa famille vient lui rendre visite une fois par mois, en faisant un long trajet.

Songül Edem Sahin

L’administration pénitentiaire n’a pas permis à Songül de récupérer les chaussettes et couvertures envoyées par sa famille. Nous sommes contraintes de les acquérir auprès du service compétent de la prison. Sa famille lui manque énormément. Les détenus politiques n’ont le droit de visite mensuelle que de 40 minutes au parloir et 10 minutes d’appel téléphonique hebdomadaire, tandis que les autres détenus bénéficient de 30 à 60 minutes d’appel téléphonique hebdomadaire. Elle a présenté une demande auprès de l’administration pénitentiaire afin de prolonger la durée des visites qui n’a encore pas eu de suite. Songül nous a donné des cours d’anglais pendant l’été dernier. Sachez qu’il n’est pas facile d’apprendre une langue étrangère dans nos conditions ! Mais, nous sommes déterminés à faire tous les efforts nécessaires à l’apprendre surtout pour communiquer avec nos amis étrangers.

Hülya Alokmen Uyanik

Quant à moi, j’ai été condamnée à 7 ans et 6 mois. Cela fait deux ans maintenant que je suis privée de liberté. J’ai fait recours auprès de la Cour de cassation. Mes deux fils scolarisés et vivent chez leur père. L’un de mes fils va passer les épreuves pour accéder à l’université. Parfois, en raison de ses études, il a du mal à venir me visiter. De temps en temps, ils m’écrivent des lettres en anglais pour m’encourager à faire des efforts dans cette langue et l’améliorer.

Les visites, les lettres, nos actions de solidarité les encouragent

J’espère que vous allez bien. Nous avons bien reçu vos lettres. Je vous remercie de votre solidarité. Nous sommes bien au courant de vos campagnes de solidarité, mais il nous est interdit de recevoir les stylos et les timbres à la prison. Mais mon époux nous a envoyé leurs photos. Nous sommes au prélude des élections législatives et Leyla (Güven), en sa qualité de politicienne, y est activement engagée. Permettez-moi de dire que nous allons bien, quoique attristées par les politiques répressives menées contre les femmes. C’est à cause de notre lutte contre ces politiques répressives que nous politiciennes kurdes, nous sommes emprisonnées. Nous passons notre temps à lire, à écrire et à dessiner. Nous n’avons malheureusement pas accès à certains journaux ou chaînes de TV (médias kurdes). Nous avons des conditions très limitées. Cela dit, nous essayons par tous les moyens de nous tenir informées de l’actualité du pays et du monde. Mes amis parlementaires nous rendent visite de temps en temps.

Un appel

Nous recevons des lettres et des cartes postales en provenance de différentes villes et pays. Cela nous remonte le moral.

André Métayer

Photo de titre : Hülya, Leyla et Songül